Ping in the USA, des sous-sols au Smash

Ping in the USA, des sous-sols au Smash

Image : AP Images

Texte : Christophe Wilson

 

Ce 3 juillet 2025 s’est ouvert à Las Vegas le tout premier Grand Smash organisé hors d’Asie. Le choix des États-Unis comme terre d'accueil a de quoi surprendre : avec environ 14 000 licenciés pour 340 millions d’habitants, on ne peut pas dire que le tennis de table électrise les foules outre-Atlantique. Pourtant, si la pratique compétitive du ping n’est pas une tradition, la petite balle blanche a bien une histoire - culturelle, sociale et politique - au pays de l’Oncle Sam. Des plateaux hollywoodiens aux start-ups de la Silicon Valley, retour sur quelques dates clés de ce curieux roman national. Édito de la newsletter du vendredi 4 juillet. 

 

1950’s – ping-pong underground

Dans l’Amérique de l’après-guerre, le tennis de table trouve un ancrage inattendu dans le Bronx et le Lower East Side, des quartiers populaires de New York. La discipline séduit une communauté qui taquine la balle jusque tard dans la nuit dans des clubs aménagés à même des sous-sols et des bâtiments décatis. Cette scène sportive - qui incuba de futurs pros mais aussi quelques escrocs truquant matchs et paris - semble inspirer les auteurs américains. Preuve en est le livre Ping Pong (2003), écrit par le romancier Jerôme Charyn qui revient en détail sur ces années matricielles. Mais aussi le prochain film de Josh Safdie consacré à Marty Reisman, champion américain (cinq médailles de bronze aux Mondiaux) et figure extravagante de ce ping-pong souterrain.


1971 – La table des négociations

En avril 1971, lors des Championnats du monde de tennis de table à Nagoya, au Japon, le pongiste américain Glenn Cowan monte par accident dans le bus de l’équipe chinoise. Zhuang Zedong, triple champion du monde, engage la conversation et lui offre un cadeau symbolique. Le geste n’est pas anodin : les États-Unis et la Chine sont en froid depuis 1949. Une photo immortalisant les deux compères fait le tour du monde et donne naissance à l’expression “diplomatie du ping-pong”. Quelques jours après, la Chine invite officiellement l’équipe américaine à Pékin. Cette brèche ouverte, c’est le président Nixon qui, en février 1972, effectue une visite historique de l’Empire du Milieu (photo en couverture de cet article)… Un épisode singulier donc, qui aura vu le tennis de table servir de levier pour un rapprochement sino-américain.


1994 – Le ping entre dans la pop culture

Pour le grand public américain, l’un des rares exemples de tennis de table joué à haut niveau demeure une fiction. Dans Forrest Gump, le héros interprété par Tom Hanks s’improvise champion de ping-pong au sein de l’armée américaine. À ce titre, il affronte un joueur chinois dans une relecture parodique de la “diplomatie du ping-pong”. Et inspire au passage un hymne planétaire à John Lennon. Ces scènes, dans lesquelles Forrest manie la raquette de manière cartoonesque, bénéficiaient d’effets spéciaux novateurs pour l’époque et ont durablement marqué l’imaginaire collectif.

 

Image : Tom Hanks dans Forrest Gump

 

Y2K – Totem des start-ups californiennes

À l’aube du nouveau millénaire, le tennis de table quitte le garage familial pour faire irruption dans les open spaces. Dans les années 90 et 2000, de nombreuses entreprises de la Silicon Valley mettent en effet des tables à disposition de leurs employés. Nouveau rebond pour le ping qui devient le symbole des start-ups au fonctionnement créatif, horizontal et décontracté, en rupture avec les environnements plus rigides des firmes traditionnelles. Récupéré par les “happiness managers” et autres DRH du monde entier, le ping-pong est depuis une manière peu coûteuse d’afficher la coolitude de sa culture d’entreprise. 


2009 – SPIN : Ping and the City

Fondé en 2009 à New York par une poignée d’entrepreneurs, accompagnés du pongiste professionnel Wally Green, puis par la grande Susan Sarandon, SPIN est un lieu hybride entre le club de ping-pong, le bar et la boîte de nuit. Compétitions amateurs, exhibitions, DJ sets, guest-stars… La salle fait rapidement parler d’elle et donne une nouvelle incarnation, urbaine et branchée, au tennis de table américain. Depuis, une dizaine d’établissements du même nom ont propagé cette image à travers le pays et jusqu’au Canada.


2014 – Top Spin, un docu discret mais remarquable

Rare documentaire consacré au tennis de table de haut niveau, Top Spin, réalisé par Mina T. Son et Sara Newens, suit trois jeunes pongistes américains - Ariel Hsing, Lily Zhang et Michael Landers - dans leur quête de qualification pour les Jeux olympiques de Londres. Le film scrute leurs entraînements et leurs compétitions, mais aussi leurs sacrifices personnels et leurs espoirs immenses. Ayant fait sa première durant l’édition 2014 du festival DOC NY, Top Spin est salué par la critique, mais reste encore aujourd’hui bien trop confidentiel. Avis aux amateurs.


2021 – “Houston, we have a championship” 

Il y a quatre ans, les instances internationales du ping avaient déjà surpris en choisissant Houston, USA, pour accueillir les Championnats du monde de tennis de table. Tout juste cinquante ans après l’épisode de la diplomatie du ping-pong (encore elle), cette attribution avait valeur de symbole. D’ailleurs, la compétition fut marquée par la création de paires mixtes sino-américaines - Lin Gaoyuan et Lily Zhang ; Kanak Jha et Wang Manyu. En simple, ce sont Fan Zhendong et Wang Manyu qui ont remporté en terre texane leur premier titre de champion du monde, respectivement contre Truls Moregardh et Sun Yingsha.


2025 – Grand Smash and beyond

Que penser du United States Smash 2025 ? S'agit-il du premier signe d’un essor du tennis de table américain ? Verra-t-on demain des compétitions de ping au Madison Square Garden commentées par Drake ? La Team USA ambitionne-t-elle d’accrocher l’Asie dans cette discipline aux Jeux olympiques de Los Angeles en 2028 ? Si tel était le cas, le retard accumulé semble difficile à combler - bien qu’il ne faille jurer de rien concernant un pays qui vient d’offrir au monde son nouveau pape. Et si l’avenir du ping n’est pas en prime time sur ESPN, peut-être se jouera-t-il plus au sud. Le Brésilien Hugo Calderano, vainqueur de la Coupe du Monde de Macao et Vice-Champion du monde à Doha, a déjà chamboulé la hiérarchie mondiale. Empêché, hélas, d'entrer aux USA pour le Smash, son exemple pourrait malgré tout susciter des vocations dans les pays latins. Après tout, l’Amérique est le nom d’un continent.