Du drama en T-League au graal à domicile : la folle semaine de Tomokazu Harimoto

Du drama en T-League au graal à domicile : la folle semaine de Tomokazu Harimoto

Image : WTT

 

Du 4 au 11 août, Tomokazu Harimoto fut sans doute le pongiste le plus observé du monde, du fait d’une succession d’évènements entre polémiques et performances qui, mis bout à bout, forment un engrenage dont il est sorti sans doute plus fort, et influent que jamais. 

 

 

C’est ce qu’on appelle prendre ses responsabilités. La semaine dernière, Tomokazu Harimoto a montré une nouvelle fois qu’il n’est pas fait du même bois que les autres, et que douter de lui se fait à vos risques et périls. Tout a commencé avec une défaite frustrante contre Kakeru Sone, un joueur non classé mondialement, pour son entrée en scène dans son nouveau club de T-League, le championnat pro japonais. Vaincu 3-1 avec un score lunaire au troisième set (11-10, la T-League ne pratiquant pas la règle des deux points d’écart), il avait pris la parole sur Instagram pour fustiger une ligue qui, selon lui, désavantage par ses règles les joueurs les plus forts, notamment les habitués au circuit WTT : « On utilise des balles qui ne sortent pas de la raquette, la dernière manche commence à 6-6, et le match décisif – celui qui départage deux équipes à égalité 2-2 – se joue en un seul set. Allez au bout de cette logique et adoptez des règles encore plus extrêmes : par exemple, accordez un set gratuit à l’équipe la plus faible […] Je ne demande rien d’extraordinaire, je veux simplement jouer des matchs normaux.»


Frustration et rébellion

Il est rare de voir les meilleurs joueurs asiatiques critiquer à ce point les instances, mais Harimoto, n°4 mondial, a atteint un statut qui lui permet de se faire le porte-parole de ceux qui ne peuvent pas s’exprimer sans risque. Restait maintenant à assumer ces propos à la table, et montrer non seulement qu’il sait de quoi il parle, mais aussi que la T-League aurait tort d’ignorer le bien-être de sa star. Engager une forme de bras de fer la veille du premier Champions de Yokohama l’a placé encore plus que prévu au centre de l’attention du ping mondial. Pas de chance pour ce dernier, Tomokazu adore ça : Finn Luu puis Anton Kallberg n’ont pas vu la balle (3-0 chacun). Catapulté en quart de finale, le Japonais a retrouvé Xiang Peng (n°9 mondial), un joueur très en forme depuis sa victoire surprise au précédent WTT Champions, à Incheon. S’est ensuivi un match de très haute intensité (4-2), duquel Harimoto est tout de même sorti frustré. Wang Hao, ancien n°1 mondial et coach de Xiang Peng, trop occupé à sermonner son joueur, lui a serré (effleuré plutôt) la main sans même le regarder. Après un tel match, Harimoto s’est senti méprisé. 

Il ne fallait pas plus que son geste d’agacement pour enflammer la planète ping : depuis, la vidéo ne cesse de tourner. Il faut dire que les relations entre Harimoto et les instances chinoises n’ont jamais été faciles. Né au Japon de parents ayant émigré de Chine pour devenir entraineurs, il y a chez lui un double héritage qui n’est pas sans agacer jusqu’aux plus hautes sphères du ping chinois, car l’excellence locale aurait ruisselé sur sa formation au Japon. C’est pourquoi il n’est pas rare de voir son nom chinois – Zhang Zhihe – et celui de sa sœur Miwa (Zhang Meihe) apparaitre dans les commentaires des fans sur les réseaux. Ce qui ne le tue le rend plus fort : qualifié pour les demi-finales, Harimoto a gardé en vue l’objectif. Le lendemain, il balaye un Kanak Jha, pourtant surprise du tournoi, pour se hisser en finale, où il savait retrouver une nouvelle fois son rival de toujours : Wang Chuqin.


Une finale hors du commun

Les précédents résultats entre les deux joueurs ne jouaient pas en la faveur du Japonais. Pour le voir battre le n°2 mondial, il faut remonter à 2022, lors de sa légendaire demi-finale des championnats du monde par équipes, où il avait successivement vaincu Wang Chuqin et Fan Zhendong. Sur leurs six rencontres en WTT, il avait sinon perdu six fois, dont les deux dernières sur le score de 4-0 en finale, c’était au WTT Finals de Fukuoka et au Smash de Las Vegas. Une nouvelle fois devant son public pour une finale, avec derrière lui une semaine éprouvante, il devait créer l’exploit. Après un premier set arraché alors qu’il était mal parti, Wonder kid s’est envolé. Le ping qu’il a déployé semblait proprement irréel : tout passait avec une vitesse, une aisance, et une puissance exceptionnelles. 

Touché par la grâce devant son public, il s’adjugera les trois premières manches avant de voir Wang Chuqin se révolter. À 3-1, alors que la tension dans la salle était à son apogée, sa cuisse a commencé à le faire souffrir. À mesure que le n°2 mondial retrouvait des couleurs, lui s’enfonçait dans une spirale de doute et de douleur. Il choisira le temps mort médical à 3-2 pour lui, et 4-2 au score. Une dizaine de minutes plus tard, et alors que beaucoup voyaient Wang Chuqin revenir pour s’imposer, le Japonais a fait plonger la salle dans l’irrationnel. D’un courage admirable, il a enchainé les points avec intelligence et calme, jusqu’à une balle de match jouée tout en finesse : victoire quatre sets à deux. Après une poignée de main déjà plus chaleureuse avec Wang Hao, Tomokazu Harimoto exulte face à l’évidence que c'est là le plus grand match de sa vie. Une conclusion impériale à sa semaine irrespirable.