Tomokazu Harimoto fustige la Ligue japonaise : “Allez au bout de votre logique et donnez un set gratuit à l’équipe la plus faible”
Image : WTT
Défait par son compatriote Kakeru Sone, non répertorié sur le classement mondial, avec des règles que d’aucuns qualifieraient de discutables, Tomokazu Harimoto a pris la parole sur les réseaux, mettant en cause le fonctionnement de la T-League, qu’il juge injuste pour les meilleurs joueurs.
En dehors de l’aire de jeu aussi, Tomokazu Harimoto a le sens du spectaculaire. Et c’est tant mieux : véritable star en son pays, l’actuel n°4 mondial peut se permettre de dire tout haut ce que les autres pensent tout bas. Alors que la T-League – l’équivalent japonais de la Pro A – semblait, d’un point de vue extérieur, se dérouler sans accro, la défaite de Okayama Rivets, nouveau club de Harimoto, face au TT Saitama a laissé s’enflammer une polémique. Les règles très spécifiques de la ligue porteraient préjudice aux joueurs habitués au circuit WTT, et par ricochet à la compétitivité japonaise dans son ensemble. Sur Instagram, Wonder kid s’est exprimé :
« Ce n’est pas du tout comme le WTT : on utilise des balles qui ne sortent pas de la raquette, la dernière manche commence à 6-6, et le match décisif – celui qui départage deux équipes à égalité 2-2 – se joue en un seul set. Si vraiment l’objectif est de raccourcir à tout prix la durée des matchs ou de multiplier les performances d’outsiders, alors allez au bout de cette logique et adoptez des règles encore plus extrêmes : par exemple, accordez un set gratuit à l’équipe la plus faible, ou considérez qu’une équipe moins bien classée remporte le match dès qu’elle atteint 2-2 au score. Ce serait au moins clair, et nous saurions à quoi nous en tenir. »
Ce message au sarcasme bien senti intervient après la défaite du n°4 mondial (Okayama Rivets) face à Kakeru Sone (TT Saitama), un joueur non répertorié sur le classement mondial, sur le score de 3-1, avec notamment le score cruel de 11-10 – pas de règle de deux points d’écart – au troisième set. Cette subtilité, associée à tout ce qu’il décrit dans son communiqué, constitue pour Tomokazu Harimoto une injustice à l’encontre des joueurs évoluant au plus haut niveau, qui finit par avoir des effets néfastes sur la carrière des outsiders qui parviennent à les battre.
Jouer des matchs normaux
Il poursuit : « Que ce soit pour les joueurs qui se consacrent exclusivement à la T-League ou pour nous, qui faisons du WTT notre circuit principal, nous jouons tous cette ligue avec la même intensité, parce que c’est notre métier, notre gagne-pain. Depuis sept saisons, nous avons affronté ces règles particulières avec sérieux et vigilance, et dans l’ensemble, nous avons gagné la plupart de nos matchs. À chaque fois, j’ai tenté de tourner la page, de passer à autre chose. Mais aujourd’hui, je sens que j’arrive à mes limites. Si un jour, des joueurs étrangers de haut niveau se disent : “Je suis venu au Japon, j’ai perdu à cause de ces règles absurdes, et je ne veux plus jamais revenir en T-League”, alors c’est l’avenir même de cette ligue qui sera compromis. Bien sûr, divertir le public est important, mais la ligue devrait accorder autant d’importance au respect et au bien-être des joueurs. Je ne demande rien d’extraordinaire, je veux simplement jouer des matchs normaux. »
Au terme de son analyse, Harimoto met en perspective les ambitions exprimées par la ligue avec la réalité du terrain, se risquant à une expérience de pensée autour du parcours d’un joueur prometteur qui irait se frotter au circuit mondial après une performance sur un « top joueur » : « Comment prétendre créer la meilleure ligue du monde tout en imposant des règles qui désavantagent uniquement les meilleurs joueurs ? Aujourd’hui, un joueur peut battre de temps en temps un top joueur grâce aux règles particulières de la T-League. Ça lui donne l’illusion qu’il peut aussi briller sur le circuit WTT, alors il s’y engage. Il perd face à un joueur étranger de niveau moyen. Il revient au Japon, bat de nouveau de temps en temps un top joueur en T-League, et se dit : "Finalement, ce n’est pas si grave." Il oublie donc ses défaites au WTT. Et petit à petit, se satisfaire de quelques victoires en T-League suffit. L’effort nécessaire pour progresser et gagner à l’étranger disparaît. On ne cherche plus à s’imposer sur la scène internationale. Les règles actuelles de la ligue étouffent cet état d’esprit combatif, celui qui pousse à s’entraîner jusqu’à en saigner pour gagner à l’international et, de là, gravir les échelons du classement mondial. »
Effets pervers
Il termine sur un constat aussi amer qu’implacable : « Peut-être qu’en réalité, ceux qui souffrent le plus de ces règles ne sont pas les meilleurs joueurs… mais tous les autres. » Saisissante par sa précision et son ampleur, cette prise de parole remet en cause le fonctionnement du tennis de table japonais dans son ensemble. Il semble dénoncer un nivellement par le bas aux antipodes d’une vision de l’excellence propre aux sociétés asiatiques. On rappelle que contrairement aux meilleurs Chinois, les Japonais n’ont pas tellement ralenti leur rythme de participation au circuit WTT depuis l’assouplissement des règles d’assiduité qui ont fait suite au départ de Fan Zhendong et Chen Meng. On continue de voir l’équipe nationale, féminine notamment, s’adjuger la plupart des titres en Contender et Star Contender, comme ce fut encore le cas à Foz do Iguaçu. Le fait qu’une fois dans leur ligue nationale, des règles spécifiques les empêchent de tenir durablement leur rang face aux outsiders, a des effets pervers sur leur moral, mais aussi sur ceux qui parviennent à les battre. Alors que le Champions de Yokohama est imminent, Tomokazu Harimoto a pris ses responsabilités hors de l’aire de jeu. Son public et sa fédération l’attendent désormais à la table.