Truls Moregardh, le roi qui attendait d’être couronné
Image : WTT
Dimanche dernier, le vice-champion du monde 2021, vice-champion olympique 2024 et sextuple champion de Suède, s’est enfin adjugé le titre majeur qui lui manquait. Premier non-chinois vainqueur d’un Grand Smash du WTT, il inscrit une fois pour toutes son nom dans l’histoire du ping, et s’impose comme l’héritier de Jan-Ove Waldner, le plus grand pongiste européen de tous les temps. Édito de la newsletter du 29 août.
L’année 2025 aura donc été celle des sacres tant attendus. Du moins ceux dont nous savions qu’ils viendraient tôt ou tard, sans pour autant qu’on puisse en prévoir la nature. Au terme d’une période difficile ayant suivi sa déception de ne pas être médaillé aux Jeux olympiques, Hugo Calderano a surpris tout le monde en s’offrant la prestigieuse Coupe du Monde de Macao, devenant le premier sud-américain récipiendaire d’un tel trophée. Un sacre qui, d’emblée, l’a fait changer de dimension au moment où beaucoup disaient que ses meilleures années étaient derrière lui, que sa chance était passée. Dimanche dernier, il s’est produit quelque chose de semblable, et pas uniquement parce que c’est le même joueur, n°1 mondial, qui a été vaincu en finale. Devant le public de sa ville natale, Truls Moregardh, 23 ans et n°7 mondial, s’est adjugé le premier Grand Smash organisé en Europe, au terme d’une finale sensationnelle contre Lin Shidong, favori de la compétition. S’est ensuivi un moment assez bouleversant, alors que son frère et coach, Malte Moregardh, courait dans l’aire de jeu pour le porter en triomphe, devant un public galvanisé par une balle de match vertigineuse, historique. Le Suédois n’en revient pas, et nous non plus.
Un joueur jeune, mais qui attendait son moment
À la différence de Hugo Calderano – ou de Simon Gauzy lorsqu’il remporte le bronze olympique par équipes –, on peut encore aisément dire que Truls Moregardh est en début de carrière. Ce sacre à domicile constitue moins l’accomplissement d’une vie sportive qu’une immense étape franchie, le passage d’un chapitre à l’autre de sa vie de pongiste. Il y a un avant, mais il y aura sans doute de nombreux après. C’est seulement que, en bon sportif catapulté star très jeune, Moregardh a rapidement cristallisé des attentes qui ont pu, parfois, le dépasser. L’expression “nouveau Waldner” est tombée très tôt, peut-être trop. En témoigne la traversée du désert ayant précédé son retour dans le top 10 mondial après les JO. Champion de Suède en 2019 alors qu’il n’a que 17 ans, il n’a laissé ce trône-là qu’en 2020 avant de le garder au chaud les cinq années suivantes, de 2021 à aujourd’hui. Le public international, lui, a fait sa connaissance quand il est devenu le joueur le moins bien classé mondialement (n°77) à se hisser en finale des championnats du monde ; c’était à Houston en 2021.
Tout y a commencé avec une impressionnante remontada contre Lim Jonghoon, qui menait 3-0 quand Truls a changé radicalement de style, révélant une créativité frisant l’indécence pour se faufiler à nouveau dans la rencontre, et finalement gagner 4-3. Il avait ensuite battu Quadri Aruna, puis la légende Timo Boll avant de chuter brutalement contre Fan Zhendong dans une finale à sens unique (4-0). Ce même Fan Zhendong qui, trois ans plus tard, l’a de nouveau privé de son rêve d’éternité en le battant 4-1 en finale des Jeux olympiques, dans un match malgré tout plus disputé. L’issue un poil frustrante d’un tournoi dantesque réalisé par le Suédois, au cours duquel il s’est lui-même improvisé briseur de rêve en éliminant le favori Wang Chuqin en seizième (seule victoire sur lui à son actif), puis Hugo Calderano en demi. Il y aura malgré tout réalisé l’un des points du tournoi dans le dernier set, avec un sublime “snake” effet rétro, aux airs de blague de mauvais goût, qui a fait le tour des réseaux sociaux. Associée à ce toucher de balle unique au monde, sa bouille de gosse du fond de la classe fait de Truls Moregardh l’un des joueurs les plus remarquables du circuit, aussi clivant qu’imprévisible. En témoigne le drama survenu au cœur de la fédération suédoise il y a quelques mois, quand le coach de l’équipe nationale a été remercié dans la précipitation à la suite, semble-t-il, d’un différend avec la famille Moregardh. Ou encore son obtention du prestigieux “Jerringpriset” 2025, le prix de l’athlète préféré du public suédois, surpassant le perchiste Armand Duplantis.
Un Smash d’anthologie
Le palmarès mondial de Truls Moregardh attendait cette ligne de poids. Jusqu’à ce week-end, son seul titre en WTT était le Contender de Budapest en 2021, où il avait notamment battu Vladimir Sidorenko, Quadri Aruna, Dang Qiu et Kilian Ort en finale. Après quoi ses performances sur le circuit mondial avaient oscillé entre déceptions et réussites inachevées, contrechamp discret d’un très gros travail en club (vainqueur de la ligue des champions avec Saarbrücken). Dire que Truls Moregardh est un joueur des grands rendez-vous est presque faible, il est un joueur des rendez-vous immanquables. On peine à s’expliquer comment il peut à ce point répondre présent lors des moments historiques, et manquer à l’appel quand tout parait plus accessible. Après des Jeux olympiques au demeurant prodigieux, il a signé un flamboyant mondial au Qatar en se hissant en demi-finale, battant au passage Kao Cheng-jui, Jang Woojin et Shunsuke Togami, avant de s’incliner 4-1 contre Wang Chuqin, futur vainqueur. Le United States Smash a ensuite fait ressortir le Truls plus nonchalant, vaincu au deuxième tour par Yuta Tanaka, avant que l’Europe Smash ne change la donne pour toujours.
Pourtant, tout aurait pu s’arrêter dès le deuxième tour, quand il était dominé deux sets à un par Sora Matsushima. On ne sait quelle force enfouie l’a ensuite, une nouvelle fois, libéré de toute limite pour qu’il s’impose 3-2, avec 11-4 à la belle. Il n’a fait qu’une bouchée de Cho Daeseong en huitième (3-0), puis a haussé d’un cran son niveau de jeu contre le très en forme An Jaehyun (4-2), tombeur de Tomokazu Harimoto, et de Félix Lebrun lors du tournoi précédent. C’est là qu’on s’est dit qu’il y avait une chance qu’il aille au bout, vraiment au bout. En demi-finale, ce fut un carnage. Face à un Benedikt Duda qui venait pourtant de faire l’une des plus grandes performances de sa carrière en battant 4-0 Hugo Calderano, Moregardh à survolé la Renaissance Arena, infligeant à son adversaire un revers du même acabit. Impressionnant d’aisance et de relâchement, en transe devant son peuple, il n’y avait plus qu’une marche à gravir, la plus haute de toute.
Un scénario impensable
Opposé à Lin Shidong, le n°1 mondial qu’on ne présente plus, Moregardh a joué le ping de vie. Son regard hurlait l’évidence que seule la victoire comptait, qu’après deux défaites en finale majeure contre l’élite chinoise, c’était maintenant ou jamais, c’était ce match-là, c’était ce moment-là. D’une certaine manière, ses deux incroyables médailles d’argent n’importaient plus, il était de nouveau ce gamin enragé qui avait tout à montrer, alors même que dans l’Arena, c’était cette fois lui le plus âgé, et même le plus décoré hors circuit WTT. À 3-1 pour lui, il savait que rien n’était fait, il avait vu la demi de Simon Gauzy. Mais il savait aussi qu’un 3-3 n’était pas une fatalité. Truls Moregardh s’est battu jusqu’au bout de ce que le ping peut offrir comme tension, jusqu’à imposer sa loi dans une balle de match vouée à faire légende. Le huitième Smash de l’ère WTT est arraché à la Chine d’un huitième smash de Moregardh contre la défense de Lin Shidong. On ne pouvait pas mieux. Il n’imaginait pas mieux.
On a rapidement appelé ce garçon nouveau roi d’Europe, héritier de Jan-Ove Waldner, le “Mozart du tennis de table”, champion olympique 1992 et plus grand joueur européen de tous les temps. Aujourd’hui, il dort enfin la tête sous une couronne, en tant que tout premier vainqueur non chinois d’un Grand Smash du WTT. Et c’est sous les yeux de son propre pays que le monde l’aura sacré.