Avec l’Europe Smash 2025, le WTT tient son chef-d’œuvre
Image : WTT
Du 14 au 24 août s’est tenu à Malmö le tout premier Europe Smash, le plus haut niveau de tournoi prévu par le WTT. On revient sur onze jours aux airs de roller coaster émotionnel, achevé en apothéose avec deux des matchs les plus épiques et spectaculaires de ces dernières années. Du très, très grand tennis de table.
La planète ping se réveille sonnée ce lundi matin. On le sent dans l’air, quelque chose a changé. Si les émotions procurées par le sport relèvent d’abord, comme pour l’art, de l’intime et des sensibilités de chacun, nous avons la prétention d’affirmer que ce qui s’est passé ce week-end est voué à faire autorité, et à s’imposer comme une référence des sommets d’intensité dramatique que peut atteindre le tennis de table. Et ce n’est pas seulement parce que la conclusion totalement invraisemblable du tournoi est parvenue aux oreilles du grand public, et d’un média lifestyle comme Views. C’est surtout parce que malgré les rebondissements, les effusions de joie et les déceptions, la photographie globale est si riche de sens qu’elle semble évidente rétrospectivement. Si l’Europe Smash devait répondre à une question, c’était celle des véritables chances européennes de concurrencer l’Empire chinois, alors que de nombreux signaux vont dans ce sens ces dernières années, sans pour autant qu’une victoire majeure l’atteste avec majesté. Il y a répondu avec un panache à vous décoller la rétine, s’imposant de facto comme le plus grand tournoi de l’ère WTT.
Un tableau messieurs dingue de A à Z
En réalité, l’Europe Smash n’a pas commencé le 14 août, mais le 6 juillet dernier, lorsque nous apprenions que le n°2 mondial Wang Chuqin ne participerait pas au tournoi, utilisant une exemption prévue par le nouveau règlement du WTT. Et si d’aucuns pouvaient être tentés d’y voir un tournoi faussé, il n’en est rien : Wang Chuqin n’est pas plus tenu d’être toujours présent à 100% que Hugo Calderano d’obtenir un visa pour le US Smash, ou qu’Alexis Lebrun de ne pas se blesser à la main. On entend par là que le ping est soumis comme tous les sports aux lois du réel, et un adage bien connu dit que les absents ont toujours tort. L’absence de Wang Chuqin a rappelé que chaque tournoi a sa physionomie particulière, et qu’aucune question de légitimité ne saurait se poser face à tel ou tel tirage.
Le séisme a commencé dès le lendemain des qualifications, alors que Simon Gauzy commençait son irrésistible parcours avec une victoire folle contre Lin Gaoyuan, trois mois après l’avoir vaincu à Doha. Il était imité quelques instants plus tard par la légende Dimitrij Ovtcharov, qui prenait le dessus sur le n°8 mondial Xiang Peng en quatre manches. Des matchs de très grande intensité survenaient ensuite, pour la plupart en faveur des Coréens – Jang Woojin renversait Félix Lebrun, An Jaehyun battait Thibault Poret – et des Allemands (Dang Qiu s’offrait Jonathan Groth, et Patrick Franziska le challenger local Mattias Falck). Mais c’est en seizième de finale que les premières gouttes d’irrationnel sont tombées : d’abord, Adrien Rassenfosse, n°103 mondial et survivant des qualifications, a littéralement écrasé Liang Jingkun (3-0), tête de série 4 et prétendant sérieux au dernier carré. Se sont ensuite enchaînés trois matchs de titans : Hugo Calderano contre la pépite chinoise Wen Ruibo (3-1), Benedikt Duda contre le piégeux Tomislav Pucar (3-2) et enfin Truls Moregardh, le héros de Malmö, contre Sora Matsushima, l’un des princes du Japon (3-2). Trois seizièmes aussi intenses que des demi-finales, qui ont achevé de donner le ton d’un tableau incroyablement homogène en termes de niveau.
L’Europe s’est enflammée
En huitièmes, le Smash est resté sur cette lancée. Véritable miraculé, Darko Jorgic a tenté on ne sait trop quoi contre Shunsuke Togami, un de ces joueurs du top 30 capables d'inquiéter tout le monde. Menant d’abord 2-0, le Slovène n’a marqué que trois points sur les sets suivants (11-2, 11-1) avant d’arracher la belle 11-5. Benedikt Duda a ensuite pris le meilleur sur Yukiya Uda, An Jaehyun sur Tomokazu Harimoto dans un thriller haletant (3-2), Truls Moregardh sur Cho Daeseong, et Simon Gauzy sur la surprise Adrien Rassenfosse. Quant aux favoris Lin Shidong et Hugo Calderano, ils ont fait le job contre Oh Junsung et Ricardo Walther, aux parcours spectaculaires.
C’est en quart de finale que tout a basculé, et que l’Europe Smash est devenu un champ de bataille aussi épique et jubilatoire qu’un Tarantino. Et comme depuis le début du tournoi, Simon Gauzy s’est improvisé chef d’orchestre. Son match face à Darko Jorgic fut aussi époustouflant qu’irrespirable. Mené trois sets à un, il a renversé son adversaire surmotivé avec une maestria de seigneur. Un pic d’intensité qui nous semblait, déjà vendredi, difficilement dépassable. Nous n’étions clairement pas prêt pour la suite. En attendant, Benedikt Duda signait une démonstration XXL contre Hugo Calderano (4-0), lequel quittera le tournoi par la petite porte sans que nous n’ayons vraiment pu cerner où il en était dans son jeu. La conséquence d’un été en faux rythme, ponctué par autant de déceptions (US Smash), que de victoires (Star Contender Foz Do Iguaçu). Truls et LSD, eux, ont gardé le cap avec autorité contre An Jaehyun et Dang Qiu.
Un week-end légendaire
C’est là qu’on est forcé de quitter le terrain du journalisme sportif, pour rejoindre celui de la mythologie. Le week-end que nous venons de vivre ne ressemble à rien de ce que nous avons récemment connu dans le monde du tennis de table. Des trois derniers matchs de l’Europe Smash, deux rejoignent instantanément le panthéon du ping, parmi les plus beaux jamais disputés. Contre Lin Shidong, Simon Gauzy a semblé léviter, allant chercher des balles que sans doute personne dans l’histoire n’aurait ne serait-ce qu’espéré toucher. En total état de grâce, le Français est passé à quelques centimètres de la plus grande victoire de sa carrière, avant de voir son adversaire prendre à bras le corps ses responsabilités de n°1 mondial (4-3). Lin Shidong n’avait sans doute pas aussi bien joué depuis sa victoire contre Ma Long au China Smash 2024, qui l’avait vu devenir le nouveau visage de la domination chinoise. Ahurissante et vertigineuse, cette demi-finale s’est immédiatement imposée non seulement comme le plus beau match de l’année, mais comme l’un des plus grands matchs des années 2020.
Juste après, l’autre demi a fait pâle figure. Submergé par un Moregardh en train d’écrire son autobiographie dans son jardin Malmöite, Benedikt Duda n’a rien pu faire (4-0). L’affiche de la finale, alors, est soudain évidente. Le n°1 mondial, symbole de la suprématie chinoise, face à celui qui, par deux fois, a vu son rêve enterré par cette dernière. Vice-champion du monde en 2021, vice-champion olympique en 2024, Truls Moregardh fait l’objet depuis ses débuts d’une sorte de malentendu. Aussi irrégulier que capable de se transcender, il n’a pas de classement mondial : qu’il soit n°6 ou n°26 semble n’avoir aucune véritable incidence, son ping-pong se trouve ailleurs. On a tout lu sur lui : que c’est un génie, qu’il a bénéficié de concours de circonstances, qu’il est surcoté, qu’il est sous-coté. Il a eu droit à tout.
Cette finale ressemblait donc au test de sa vie, pour obtenir enfin le titre qu’il se promet depuis des années. Un ultime roller coaster plus tard, sept manches au cours desquelles les deux stars se sont rendues coup pour coup, la terre s’est arrêtée de tourner lors d’une balle de match proprement irréelle – le point du tournoi, et le point pour le tournoi – remportée à bout de souffle par le Suédois. Et soudain, l’Europe Smash s’incarna jusque dans son appellation : c’est le huitième Smash depuis le début du WTT, et c’est le huitième smash de Moregardh qui a eu raison de la défense de Lin Shidong, pour offrir le Graal à l’Europe. Vous pouvez vérifier.
Sun Yingsha et Wang Manyu, une constance au milieu du chaos
Le tableau simple dames a réservé quelques surprises, mais la tendance globale reste la poursuite de l’écrasante domination sino-japonaise. Quatre Chinoises et trois Japonaises ont joué les quarts de finale, dont la dernière place était occupée par l’Allemande Sabine Winter, laquelle a réalisé un tournoi impressionnant, au cours duquel elle aura notamment éliminé la meilleure joueuse européenne Bernadette Szocs, puis la n°3 mondiale Chen Xingtong. Aucune des trois Japonaises – Satsuki Odo, Mima Ito et Honoka Hashimoto – ne sera parvenue à rejoindre le dernier carré, ultra dominé par les n°1 et 2 mondiales, Sun Yingsha et Wang Manyu (4-0 et 4-1 contre leurs dauphines Chen Yi et Shi Xunyao). En finale, la première a une nouvelle fois pris le dessus sur sa compatriote dans une bataille en six manches, et raflé un quatrième Smash en simple. C’est la seule pongiste au monde à en avoir gagné autant.
Parmi les moments d’anthologie, on note tout de même l’incroyable balle de match de Honoka Hashimoto contre Wang Yidi en huitième de finale. Un point – et une perf – qui ressemble à s’y méprendre à l’issue de leur dernière rencontre, en huitième également, lors du United States Smash. Deux fois, la défenseuse japonaise aura patienté plusieurs dizaines de secondes pour s’offrir un coup gagnant. Et que dire, enfin, de l’autre perf du tournoi féminin, celle réalisée par Bruna Takashi en seizième contre la prodige Miwa Harimoto (3-2), au terme d’un autre thriller en cinq manches. Un tournoi a vous donner le tournis, on vous dit.
Les trois tableaux doubles, entre surprise et logique
On passera plus vite sur les différents tableaux doubles. Sun Yingsha et Wang Manyu ont triomphé chez les dames au terme d’un parcours sans embûche (les deux n’ont perdu aucun set avant d’être poussées à la belle en finale par Satsuki Odo et Miwa Harimoto), et d’un tableau presque sans perf, hormis celles réalisées par Cheng I-Ching et Chien Tung-Shuan sur les Roumaines Bernadette Szocs et Elizabeta Samara (tête de série 5), et par Prithika Pavade et Adriana Diaz sur Doo Hoi Kem et Zhu Chengzhu, tête de série 7. En double mixte, Lin Shidong et Kuai Man sont restés intouchables, en remportant un troisième titre de rang dans la discipline, sur le score de 3-0 face aux têtes de série 2 Lim Jonghoon et Shin Yubin. Ils n’auront été inquiétés qu’en huitième, poussés à la belle par Patrick Franziska et Anett Kaufmann.
La seule vraie surprise est venue de chez les messieurs, avec la victoire des Hongkongais Wong Chun Ting et Chan Baldwin, têtes de série 6. Au cours d’un parcours spectaculaire, ils ont fait le tour d’Asie : victoire en quart sur les Coréens, têtes de série 1, An Jaehyun et Lim Jonghoon ; victoire en demi sur les Japonais Hiroto Shinozuka et Tomokazu Harimoto ; et victoire en finale contre les Chinois Lin Shidong et Huang Youzheng. Si après ça, vous avez un plus beau sport à proposer, on est tout ouïe.