Résurrections chinoises

Résurrections chinoises

Les films du Losange / ITTF

 

Il y a deux semaines, la Chine a brillé sur deux des scènes sportives et culturelles les plus importantes qui soient : les championnats du monde de tennis de table, et le Festival de Cannes. Portrait croisé de deux magiciens : Wang Chuqin et Bi Gan, réalisateur du sublime “Résurrection”, récompensé d’un Prix Spécial du Jury. Édito de la newsletter du jeudi 5 juin.

 

Qu’est-ce qui rapproche le pongiste Wang Chuqin et le cinéaste Bi Gan, hormis une précocité et un immense talent dans leur discipline respective ? Peut-être cette scène emblématique d’Un grand voyage vers la nuit (2018), le deuxième film de Bi Gan, où le personnage principal s’imagine apprendre un jour le ping-pong à un hypothétique fils, comme le symbole de l’enracinement de ce sport dans l’imaginaire chinois, parfois difficile à concevoir de là où nous sommes. Le samedi 24 mai dernier, à Cannes, quelques heures avant que le cinéaste de 35 ans ne reçoive un Prix Spécial du Jury pour son troisième long, Résurrection, Wang Chuqin se qualifiait pour la finale des championnats du monde à Doha face à Truls Moregardh (4-1), son bourreau des Jeux olympiques, à l’origine du moment le plus difficile de sa carrière. Avec cette victoire – et celle du lendemain face à Hugo Calderano, synonyme d’un premier sacre mondial –, la blessure parisienne s’est peut-être enfin refermée. S’il fallait donner un titre à ce match et au sourire qui l’a suivi, ce serait peut-être justement Résurrection.

Le Résurrection de Bi Gan, lui, traite de tout ce que le cinéma, en tant qu’expérience sensible, sensorielle, nous a offert en plus d’un siècle d’existence. Comme un long poème visuel, il suit les pas d’un « Fantasmer » (« Rêvoleur » en VF), l’une des dernières personnes au monde capables de rêver. Celui-ci est comme projeté successivement dans cinq univers consacrés chacun à une époque du cinéma (de l’expressionnisme muet aux dernières technologies numériques), ainsi qu’à un des sens dont est doté l’être humain (un segment de film est consacré au goût, un autre à l’odorat, etc). Au cours de cette odyssée faite d’images, de sonorités, de textures et de sensations, c’est toute l’histoire du cinéma dont le Rêvoleur est le témoin, spectateur Élu parmi les autres, peut-être supposé transmettre un jour la recette du septième art à nos successeurs, une fois que nous aurons toutes et tous disparu. 

Par son ampleur immense et sa beauté renversante, le film de Bi Gan pourrait être la conclusion à la grande épopée cinématographique, initiée il y a plus de 125 ans. Par sa charge symbolique, ce premier titre mondial pourrait être le dernier de la carrière de Wang Chuqin. Ces deux résurrections chinoises, à quelques heures et milliers de kilomètres d’écart, sont, par le fruit du hasard, au cœur de notre vision croisée de l’art et du sport. L’histoire s’écrit un peu plus à chaque seconde ; une histoire globale, commune, où des choses se répondent entre elles sans en avoir conscience. C’est à nous, spectateurs de ping ou de films, d’en écouter les échos. 

Nous retrouverons le numéro 2 mondial lors de l’United States Smash du 3 au 13 juillet prochains. Le film de Bi Gan, lui, sortira le 15 octobre.