Zhu Yuling : le ping et tout le reste
Image : WTT
Numéro 1 mondiale en 2017, Zhu Yuling s’est retirée des aires de jeu en 2020 pour faire face à un cancer. Un adversaire d’une nature nouvelle, invisible, qu’elle est parvenue à vaincre pour retrouver le plus haut niveau cette année sous la bannière de Macao. Itinéraire d’une femme inarrêtable.
Elle est une figure majeure de la domination chinoise lors de la dernière décennie. Championne du monde en double avec Liu Shiwen en 2015, triple vainqueure de la coupe d’Asie (2017, 2018 et 2019), gagnante de la coupe du monde 2017, et numéro 1 mondiale la même année, Zhu Yuling a brusquement quitté le circuit mondial en 2020, pour des raisons médicales alors floues. C’est un peu plus tard qu’on a appris qu’elle était atteinte d’un cancer, et qu’elle était soignée dans un hôpital spécialisé. S’est ensuivie une longue période – ajoutons la crise sanitaire – où les nouvelles furent rares, teintées de rumeurs, et difficiles à obtenir d’un point de vue occidental. C’est peu après les Jeux olympiques, alors que l’espoir de la revoir au plus haut niveau s’estompait, qu’on a appris que Zhu Yuling avait vaincu sa maladie, commencé un doctorat, et était prête à retrouver les aires de jeux. De plus, à la surprise générale, c’est sous la bannière de Macao que l’ancienne coéquipière de Ding Ning et Liu Shiwen allait faire son retour. Celle-ci avait en effet rejoint le programme d’insertion de sportifs étrangers, et obtenu le statut de résident permanent (PR) de Macao.
Mis à part l’étonnement de voir une internationale chinoise jouer sous un autre maillot, cette décision fait sens pour deux raisons : la première est que Zhu Yuling est originaire de Zhuhai, une ville de la province du Guangdong, au sud de la Chine, située à moins d’une heure de Macao. Les échanges économiques, commerciaux et humains entre les deux régions sont donc permanents. La seconde est qu’elle a affirmé à plusieurs reprises que le ping n’était pour elle désormais plus qu’une passion, comme le rapporte le South China Morning Post : “avant, tout mon univers tournait autour du tennis de table ; c’était une carrière, et tout le reste lui faisait de la place. Mais maintenant c’est juste un hobby. Le temps d’une carrière professionnelle est limité, mais celui d’une passion dure toute une vie.” On imagine donc aisément qu’avec un tel esprit – et malgré les nombreux services rendus –, il n’y avait plus de place pour Zhu Yuling dans l’équipe nationale. Apporter son expérience unique aux rangs de Macao est pour elle à la fois un nouveau départ personnel et un nouveau challenge professionnel.
Ayant bénéficié d’une Wild Card pour le WTT Champions de Macao en septembre dernier, l’ancienne numéro 1 mondiale s’est inclinée sèchement en 8ème (3-0) face à sa compatriote Wang Yidi. Une simple remise en jambe dirait-on ; c’est au Singapore Smash qu’elle nous a tous subjugués. Numéro 85 mondiale au début des qualifications, elle s’est hissée en quart de finale sans perdre un seul set, s’offrant en cours de route les Japonaises Miu Hirano (n°12) et Satsuki Odo (n°7). Il aura fallu ni plus ni moins que Kuai Man (n°15), jeune joueuse à la percée exceptionnelle, pour stopper ce parcours, passionnant à plus d’un titre. Si Zhu Yuling a terrassé une à une des adversaires de plus en plus en fortes, c’est parce qu’elle a combiné son immense expérience avec une absence presque totale de pression. Difficile de concevoir à quel point on peut rester fort quand on n’a plus peur de perdre. Présente par pure passion – et si obligations de résultat il y avait, elles n’égalaient d’évidence pas ce qu’une numéro 1 mondiale a connu –, Zhu Yuling avait le beau rôle face à des pongistes qui jouaient là une étape cruciale de leur saison. Elle jouait pour s’amuser, sourire aux lèvres, déjà gagnante du seul fait d’être présente. Pour la vaincre, il fallait une joueuse ayant reçu la même formation, la même exigence, et qui savait donc de quel poids elle était soulagée.
Zhu Yuling n’a plus seulement le ping dans sa vie. Une réalité qu’on a peine à se représenter quand on sait les sacrifices qu’incombe aux Chinois l’excellence. À 30 ans, elle prépare un doctorat, enseigne, et est même devenue femme d’affaires. La maladie ne l’a pas arrêtée le moins du monde. Au sortir du Singapore Smash, elle est désormais n°39 mondiale, et fera pour sûr d’autres apparitions en Champions et en Smash pour jouer les trouble-fêtes. À ce jour, seules ses compatriotes l’ont battue, seules ses compatriotes lui ont pris des sets. Depuis le départ de Chen Meng, 30 ans aussi, la place honorifique de “grande sœur” (-Jie en chinois) est incertaine dans l’équipe nationale. À bonne entendeuse.