Wang Manyu, l’étoile discrète du ping chinois
Image : WTT
Texte : Juliette Helfi
Récente vainqueur du China Smash, Wang Manyu s’est imposée avec autorité en finale face à la n°1 mondiale Sun Yingsha. Une performance éclatante qui confirme la montée en puissance d’une joueuse longtemps restée dans l’ombre. Portrait d’une championne forgée dans l’adversité. Édito de la newsletter du 10 octobre.
Des rues de Qiqihar à l’équipe nationale
En Chine, choisir le tennis de table, c’est s’engager sur un chemin aussi exigeant que codifié. Intégrer l’équipe nationale n’est qu’une étape parmi d’autres dans la conquête du rêve ultime : réaliser le Grand Chelem en remportant les trois compétitions majeures de la discipline : Jeux olympiques, Championnats du monde et Coupe du monde.
Wang Manyu exprime ce rêve dès l’âge de 13 ans, lors d’une interview pour Stiga Chine. Originaire de Qiqihar, dans le nord du pays, elle débute le ping à 5 ans. Fille d’un vendeur de roujiamo (sandwichs de viande chinois), elle gravit les échelons à une vitesse fulgurante. À 13 ans, elle est sélectionnée pour rejoindre Pékin et l’équipe nationale. Elle incarne cette success story à la chinoise, où l’État fournit les infrastructures permettant à chaque enfant, peu importe son milieu, de briller.
Sa progression est méthodique, son jeu précis et implacable. Dès les catégories juniors, elle impressionne : double championne du monde en 2014 et 2015. Elle perce au niveau senior lors du Qatar Open 2017, atteignant la finale face à Chen Meng. Son style détonne : moins explosif, mais plus varié, basé sur les effets, le placement, et une diagonale revers redoutable. Les entraîneurs la comparent même à Fan Zhendong pour la qualité de son revers.
Chen Meng : l’obstacle récurrent
Mais Wang bute sur une muraille : Chen Meng, référence du circuit, dont la puissance et la régularité dominent leurs confrontations. Malgré plusieurs titres internationaux et une médaille aux Mondiaux 2019, elle ne décroche pas sa place pour les Jeux olympiques de Tokyo. Elle est retenue comme "P-card", simple remplaçante, mais fait de cette déception un véritable tournant. Elle remporte le tournoi de sélection olympique, introduisant un nouveau service revers qui déstabilise ses concurrentes, et bat coup sur coup Sun Yingsha et Chen Meng. Lorsque Liu Shiwen se blesse à Tokyo, Wang est appelée en dernière minute pour l’épreuve par équipes. Elle répond présente, reste invaincue et participe à la conquête de l’or avec une maîtrise glaciale.
La fin de saison est un véritable raz-de-marée : victoire aux Jeux Nationaux Chinois, et premier sacre aux championnats du monde. En demi-finale, elle renverse Chen Meng au bout du suspense. En finale, elle terrasse Sun Yingsha 4-2 après un 6e set haletant (17-15), inscrivant son nom aux côtés de légendes du ping chinois comme Zhang Yining, Deng Yaping, Li Xiaoxia Ding Ning et Liu Shiwen.
Turbulences, blessures et passage à vide
Après le sommet de 2021, Wang Manyu peine à surfer sur la vague du succès. Le nouveau cycle olympique ne démarre pas comme espéré. À la surprise générale, sa collaboration avec Xiao Zhan, l’ancien coach de la légende Zhang Jike, prend fin. Il avait pourtant joué un rôle clé dans l’évolution de son jeu en particulier dans le renforcement de son coup droit, autrefois considéré comme son point faible, et dans la couverture du milieu de table, zone délicate à cause de sa grande taille. Elle traverse une période de turbulences, enchaîne blessures et autres revers. Malgré son talent, et son rôle clé dans le trio chinois avec Chen Meng et Sun Yingsha, elle est éclipsée par cette dernière, et subit des défaites décisives qui compliquent sa course pour Paris.
Quelques semaines avant la fin de la période de qualification pour les Jeux olympiques, elle est surprise par Manika Batra, n°1 Indienne au jeu atypique. Cette défaite face à une étrangère lui coûte cher : elle subit un malus fatal et voit Chen Meng, gagnante du tournoi, lui souffler la place pour le simple aux Jeux. La déception est immense. À 25 ans, entre blessures et incertitudes, Paris pourrait être ses derniers Jeux olympiques. Et pourtant, Manyu ne baisse pas les bras. Elle rebondit et entame une préparation millimétrée pour les JO. À Paris, elle fait taire les doutes : en finale par équipes face au Japon, elle brille par son sang-froid et sa combativité, et scelle la victoire de son équipe.
Un palmarès en décalage avec son rang mondial
Malgré son statut de n°2 mondiale, Wang Manyu affiche un palmarès qui ne reflète pas pleinement ce classement. Présente dans toutes les grandes échéances, elle peine à s’imposer avec régularité. Hormis son titre mondial en 2021, elle n’a jamais remporté de médaille individuelle aux Jeux olympiques ni triomphé en Coupe du Monde. Freinée par des blessures ou par Sun Yingsha dans les moments clés, elle enchaîne les demi-finales et les places d’honneur sans parvenir à transformer l’essai. Son classement traduit sa constance sur le circuit WTT, mais sur les grands rendez-vous, elle n’a pas encore su s’affirmer comme une championne incontournable.
En 2025, Chen Meng prend sa retraite, laissant place à une rivalité assumée entre Wang Manyu et Sun Yingsha. Mais malgré une combativité sans faille, Manyu trébuche encore face à sa grande rivale. Malgré les nombreuses opportunités, elle ne parvient pas à trouver la clé. Si proche du sommet, elle reste tenue à distance, comme si un mur invisible la séparait de son ultime consécration. Toutes compétitions confondues, Sun mène désormais 26 victoires à 13 dans leurs face-à-face. Et pourtant, loin de les éloigner, cette rivalité les renforce mutuellement. Amies dans la vie, partenaires de double, elles forment le duo "ShaYu" (requin en chinois), double championnes du monde et terreurs du circuit WTT.
« Chercher la meilleure version de soi »
Malgré les blessures, la pression et les désillusions, Wang Manyu incarne une génération de sportives d’élite résilientes et lucides. Elle ne cesse de chercher à se réinventer, innovant tactiquement et techniquement, avec la réintroduction du service revers comme axe principal en finale du dernier Smash, un choix gagnant contre lequel Sun n’a pas su trouver de réponse.
En interview, elle confie : « Même si certains rêves ne se réalisent pas, l’essentiel reste de chercher la meilleure version de soi et de rester fidèle à qui l’on est. »
Introvertie et discrète, surnommée affectueusement "l’anguille" par ses fans, elle se transforme à la table : imprévisible, déterminée, et toujours dangereuse. Le destin de Wang Manyu reste ouvert, mais une chose est certaine : elle a déjà marqué l’histoire du tennis de table moderne par son abnégation, son élégance, et sa force intérieure.