United States Smash : retour sur un tournoi qui n’a ressemblé à aucun autre

United States Smash : retour sur un tournoi qui n’a ressemblé à aucun autre

Image : WTT

 

Du 3 au 13 juillet s’est déroulé le premier WTT Grand Smash organisé hors du continent asiatique. Onze jours au cours desquels Las Vegas fut la capitale mondiale du ping, pour un tournoi commencé dans la polémique, et terminé dans la légende. On ne pouvait sans doute pas faire plus américain. 

 

Depuis le début de ce qu’on pourrait désormais appeler “l’ère WTT”, le United States Smash est le septième tournoi de cette ampleur et de ce niveau. Après les Singapore Smash de 2022, de 2023 et de 2024, le Saudi Smash 2024, le China Smash 2024 et le Singapore Smash 2025, Las Vegas a accueilli pendant onze jours les meilleurs joueurs et joueuses du monde, en simple, en double et double mixte. Il convient d’insister sur une réalité : depuis que le WTT existe, l’année 2025 est la première à se dérouler avec le nombre de Grand Smash prévu à l’origine, c’est-à-dire quatre. Tout ce qui est arrivé depuis la révolution WTT pendant le Covid-19 a mené à ça : un circuit proche de celui du tennis dans son dispositif, où s’enchaînent des évènements de différents niveaux, avec quatre rendez-vous suprêmes dans l’année. Les médias généralistes commenceraient à les appeler “tournois du grand Smash” pour faire écho au grand Chelem que nous ne serions pas surpris, c’est assez clairement ce qui se joue actuellement. 

Mais alors, quel est l’objectif final ? La question se pose, alors même qu’entre le mois d’avril et le mois de septembre, il y aura eu une coupe du monde (avril), des championnats du monde (mai), le United States Smash (juillet), l’Europe Smash (août), et le China Smash (septembre) : littéralement cinq tournois à l’enjeu et au niveau équivalents à ce qui confère en principe un titre mondial. Et entre temps, il y a des WTT Champions, Contender et Star Contender à ne pas négliger. C’est un fait, le ping ne s’arrête jamais, absolument jamais, et il faut probablement s’attendre à ce que les championnats du monde tels que nous les connaissons disparaissent au profit d’un système entièrement pensé comme le tennis, à ceci près que les conditions météo, la surface du sol et la nature de la table ne changeront pas selon le pays où l’on se trouve. Quoi que. Si l’on en croit ce qu’on a vu au cours de ce Smash aux USA en termes de surprises, de perfs et de moments gênants, on a envie de se dire que la différence China Smash / US Smash sera à terme équivalente à la différence Roland Garros / Wimbledon. Et on s’arrêtera là pour le parallèle. 


Un tournoi lointain, dans tous les sens du terme

Au-delà du fait qu’il a fallu apprendre à se coucher tard là où nous nous étions habitués à nous lever tôt pour les sessions en Asie, le United States Smash nous a dépaysés à plusieurs égards. Tout a commencé avec un grand absent, le vice-champion du monde et n°3 mondial Hugo Calderano, qui a pris de plein fouet les règles consulaires américaines du moment, et n’a donc pas pu se rendre à Las Vegas à temps. Nous y reviendrons, mais au regard de la physionomie des matchs, il a clairement manqué à ce tournoi. Ensuite, nous avons appris que RMC Sport ne diffuserait pas les sessions sur leurs chaînes YouTube et Twitch, pour des raisons contractuelles, semble-t-il. Et enfin, où était le public pendant les trois quarts du tournoi ? Chez lui, saturé de sport en ces fins de saisons de baseball, de NBA et de football américain ? Où peut-être dans les stades de la Coupe du Monde des clubs ou de la Gold Cup de la CONCACAF, organisées en même temps que le Smash ? Dur à dire. Mais tous ces signaux, mis ensemble, annonçaient tout de même un peu la couleur : le ping s’internationalise, et ce faisant, doit composer avec plus de paramètres que jamais. 

Aux USA, par exemple, la marque phare de tennis de table est Joola, sponsor de stars locales comme Lily Zhang ; eh bien les tables très design de cette marque en ont perturbés plus d’un dans les aires de jeu. Pas toujours stables – des rebonds qui fusaient –, certains joueurs ont souffert le martyre quand d’autres se régalaient. Rien à voir, apparemment, avec les DHS utilisés au China Smash si l’on en croit les difficultés d’adaptations de certains Chinois. Citons aussi les différentes conditions de jeu au milieu du Nevada en plein mois de juillet : 40°C en moyenne dehors, pas tellement moins sous la tente d’entrainement ; et une fois dans l’Orleans Arena, une climatisation mise à fond générant un air froid et sec à faire saigner du nez Alexis Lebrun. À un moment, il s’est mis à pleuvoir dans l’Arena pendant un match de Lin Shidong, à un autre, de la fumée est apparue sans raison. Le peu de public présent ne savait pas comment éteindre son flash, et certaines tables bougeaient comme des tables de camping. Dès les qualifications, nous l’avons un peu toutes et tous senti : ce Smash serait différent des autres. Ça n’a pas manqué. 


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À Las Vegas, certains ont touché le Jackpot, d’autres se sont demandé ce qu’ils étaient venus faire ici. D’une certaine manière, le tournoi a épousé sa ville d’accueil dans ce qu’elle a d’imprévisible et d’excessif, pour le meilleur et pour le pire. Côté français, d’ailleurs, on en a expérimenté toutes les facettes. Le meilleur fut la mégaperformance de Lilian Bardet contre le n°5 mondial Liang Jingkun en 32ème de finale. Sur un nuage durant toute la semaine, le Français, passé de la 85ème place mondiale à la 41ème, a joué tapis et raflé six matchs durant, jusqu’à chuter contre son jeune compatriote Félix Lebrun en quart, avec un 4-0 des plus cliniques. Un parcours aux airs de rise & fall sublime que seule Vegas peut générer. Le pire, ce fut l’assassinat sportif d’Alexis Lebrun en huitième contre Yuta Tanaka, où le Montpelliérain s’est vu, d’un coup, retiré deux points d’affilée à la belle, pour deux services annoncés illégaux par l’arbitre. Pas de bol, c’était sur la table 2, qui ne dispose pas de technologie TTR pour le vérifier. Ses lancés se ressemblent tous pendant quatre sets et demi sans problème, et soudain, il y en aurait deux illégaux, et coup sur coup ? Bref. 

Autre indicateur de la singularité de ce Smash : le tableau simple dames, remporté par la vétérante Zhu Yuling en finale contre la jeune Chen Yi. Deux joueuses parmi les moins habituées aux conditions de jeu des précédents WTT Smash. De son côté, Sun Yingsha, reine de la discipline depuis quatre ans, semblait complètement déboussolée, et finalement assez peu concernée par le moment. Son premier match gagné à la belle contre l’Australienne Yangzi Liu ressemblait à un accident, le deuxième, contre Hana Goda, fut un constat sans appel. Irait-elle une nouvelle fois au bout du bout, mais avec uniquement des matchs gagnés à la manche décisive ? Non, à la première Chinoise rencontrée, la n°1 mondiale a perdu sans avoir vraiment donné l’impression d’essayer de gagner. Un rage quit ? Peut-être. Un symbole ? Assurément. Chen Yi a fait un tournoi exceptionnel, mais ce n’était que son deuxième Smash après celui de Chine en 2024. De son côté, Zhu Yuling a fait parler son immense expérience pour se frayer un chemin jusqu’au Graal, prenant le meilleur successivement sur Wang Manyu, Shin Yubin ou encore Mima Ito. Elle aussi jouait là seulement son deuxième Smash. 


Pour l’histoire

Le United States Smash n’a ressemblé à aucun autre, et c’est tant mieux. Rarement il y aura eu autant de suspense aussi tôt dans un tel tournoi. Félix Lebrun a joué son meilleur ping à partir des quarts, s’imposant facilement contre Lilian Bardet et poussant Wang Chuqin à se surpasser, mais il a aussi frôlé la catastrophe dès son entrée en lice contre Shunsuke Togami, et ses vieux démons en huitième contre Benedikt Duda. Thibault Poret a failli créer un incident diplomatique en poussant Lin Shidong à la belle dès le premier tour, Yuta Tanaka a dégouté Truls Moregardh de son propre jeu mental, Tomokazu Harimoto a enfin montré son ping au peuple américain après son échec des Mondiaux de Houston, Mima Ito a tapé fort dans la balle, et avec Zhu Yuling, la Chine est parvenue à gagner et perdre en même temps. 

En fait, il ne manquait que Hugo Calderano. L’atmosphère démente qui planait sur Sin City aurait pu basculer dans l’irrationnel avec lui sans les parages. Sauf exception, chez les messieurs, ce ne sont pas les joueurs qui jouent le plus en rotation qui ont tiré leur épingle du jeu, mais plutôt les styles percutants – Jorgic, Harimoto, Bardet… Quand on observe l’équation, on se dit que le vice-champion du monde, dans sa forme actuelle, avait une vraie carte à jouer dans cette salle où tout semblait possible, et que l’on quitte donc avec un goût un poil amer dans la bouche. Retenons les matchs à la tension apocalyptique : ce Félix Lebrun / Wang Chuqin en premier lieu, qui fera assurément date, mais aussi Lilian Bardet / Liang Jingkun, Hana Goda / Sun Yingsha, Thibault Poret / Lin Shidong, Chen Yi / Hina Hayata, ou Tomokazu Harimoto / Lin Shidong. Autant de témoins d’un circuit toujours dominé par une nation reine, mais qui ne cesse de chercher l’équilibre. Maintenant, on conseille à tout ce petit monde de se coucher tôt, car dans une semaine il y a Contender, dans deux semaines Star Contender, dans trois semaines Champions, et dans quatre semaines un autre Smash. On va se coucher aussi.