Simon Gauzy, les retours d’un roi

Simon Gauzy, les retours d’un roi

Image : WTT

 

Texte : Christophe Wilson

 

Récent lauréat du trophée FFTT du point de l’année, Simon Gauzy fera son grand retour en Pro A la saison prochaine. Une double actualité qui nous donne l’occasion d’esquisser un portrait de celui qui fut N°1 français dans des années de vache maigre médiatique et qui a vu le ping se renouveler alors qu’il approchait la trentaine. Challenge.

 

 

Avec une poignée de compagnons de route nommés Tristan Flore, Stéphane Ouaiche ou Quentin Robinot, Simon Gauzy a passé sa jeunesse à porter le tennis de table français sur des aires de jeu et dans des polos qui, quelques années plus tard, semblent bien désuets. Il a joué, gagné, perdu, devant des tribunes largement composées d’initiés. À part eux, qui célébrait son entrée dans le Top 10 en 2017 ? Et combien de médias se galvanisèrent de sa victoire face à Xu Xin aux Mondiaux de 2019 ? Avec sa dégaine de bon pote, son jeu tout en panache et des performances régulières, le Toulousain, né en 1994, avait pourtant le potentiel pour devenir un athlète-vedette. Le sentiment est tenace qu’il n’est pas passé loin d’un destin national à la Thibaut Pinot. La faute n’est pas la sienne, mais celle d’un grand public qui, depuis la retraite des Mousquetaires, était aux abonnés absents. Cette histoire d’un champion bridé dans un sport en déficit d’image aurait pu en rester là et Simon Gauzy n’aurait rien eu à regretter. C’était sans compter sur un article publié le 17 mai 2022 dans les pages de l'Équipe : “Les frères Alexis et Félix Lebrun, phénomènes du ping français”. La suite – faite de victoire sur le N°1 mondial, d’entrée dans le Top 5, de JO, de JT et de publicités – a, comme par magie, été suivie par soixante-huit millions de Gaulois, par Zidane et jusqu’à l’Élysée.


Nouvelles ères

Deux prodiges et une Olympiade à domicile auront donc réussi à mettre le “ping” sur toutes les lèvres. La hype, aussi violente que soudaine, n’a pas dû déferler sans faire grincer des dents parmi les puristes et les vétérans. Pour Simon Gauzy, qui avait fait des Jeux de Paris un objectif de vie, la nouvelle donne n’a pas été simple à encaisser. Relégué en troisième position de l’effectif français, il a été privé d’épreuve individuelle. Après avoir pris du temps pour lui, hors des gymnases, on l’a vu, beau joueur, monter sur le siège arrière de la fusée Lebrun, épauler ses cadets en double et en équipe, partager avec eux les podiums et enfin prendre de cette lumière qui lui revenait de plein droit.

Les projecteurs braqués, la blessure pansée, restait à performer. Or, il n’est pas chose aisée que de retrouver son meilleur classement dans un sport où le haut niveau s’atteint dès l’adolescence. Qu’à cela ne tienne : la scénographie futuriste et la mise en scène de l’Infinity Arena le disent bien, dans cette ère WTT, le ping n’est plus uniquement affaire de victoire. La discipline rayonne tout autant grâce à ses highlights encapsulés sous forme de stories Instagram, de reels et autres vidéos Tik Tok pour générer l’engouement à travers la planète. Coup de bol : le Haut-Garonnais se distingue par un jeu aussi spectaculaire que fantasque. Quand son flip n’éteint pas immédiatement l’échange, Simon Gauzy est toujours prompt à prendre ses quartiers à mi-distance de la table. De là, il occupe l’espace, manipule le temps et expérimente avec les lois de l’aérodynamisme. Mal embarqué, il tient le cap et cherche à provoquer la faute de l’opposant. En confiance, il invite son adversaire à entrer dans sa danse pour mieux le congédier d’un trickshot ordinairement réservé aux entraînements et aux exhibitions.

Dans cette filière, on doit évidemment citer son revers around the net réalisé côté coup droit, qui a fait sourire Liang Jingkun et a été élu “meilleur point de l’année” par la FFTT. On peut également mentionner un rocambolesque rallye face à Félix Lebrun qui cumule près de 75 millions de vues sur YouTube. Ces facétieuses chorégraphies ont un autre avantage. Elles désarçonnent les pongistes habitués à livrer et combattre des jeux tout en efficience et en orthodoxie, comme en attestent les sets que le numéro 3 Français a remportés sur Liang Jingkun, Wang Chuqin et même Ma Long.


“Simon les émotions” 

Naturellement, cette propension à jouer les feux follets ne va pas sans créer de difficultés. Attendu par un public en demande de sensations, on sent parfois Simon Gauzy tenté d’assurer le show, quitte à reculer inopportunément ou prendre un risque superflu. Autant de manœuvres qui lui imposent un engagement physique délirant. Rares sont les matchs où l’acrobate, parti traquer une balle aux confins de l’air de jeu, ne disparaît pas de nos écrans. Rares aussi sont les rencontres où il ne tamponne pas la table et ne percute pas le sol, finissant ici en grand écart et là en sang, toujours plus proche du Guinness World Records du nombre de temps morts médicaux en carrière. Autre effet collatéral : les remontadas de ses adversaires montrent que sa manière n’est pas toujours rentable au meilleur des sept sets. À oublier son instinct de tueur au profit du beau jeu, on a vu le Français quitter le Top 50 et devoir se refaire une santé dans des compétitions de moindre envergure.

On en était là de nos méditations quand ont débuté les championnats du monde en mai dernier. À Doha, loin de se tempérer, le pongiste tricolore a livré un concentré chimiquement pur de gauzinerie. Un ballet de retournements de situation dans lequel on l’aura vu, pêle-mêle, débuter des rencontres proche du jeu blanc, mener deux sets à rien et se faire remonter, s’offrir quatre balles de match pour mieux les concéder, se qualifier dans d’asphyxiantes prolongations, sortir la tête haute face au futur vainqueur du tournoi... En trois matchs de championnat du monde, la méthode Gauzy a fait passer la politique commerciale de Donald Trump pour un modèle de stabilité. Quelques semaines plus tard, le droitier était éliminé au premier tour du Star Contender de Ljubljana ; quelques jours après, à Zagreb, il battait Darko Jorgic, N°9 mondial, et s'offrait une demi-finale... Ces trois séquences consécutives donnent un aperçu des abîmes de perplexité, de nervosité et de sidération dans lesquels le Toulousain est capable de nous plonger. Ses deux titres de champions de France, décrochés à sept ans d’écart, l’avaient laissé entrevoir : plus artiste qu’athlète, seules les Muses semblent décider de ses trous d’air et de ses inspirations.


Vers Hennebont et au-delà 

À bientôt 31 ans, Simon porte toujours une inamovible chaînette autour du cou. Quelques cheveux l’ont quitté, mais, pour compenser, sa barbe n’est plus rasée. Le bon pote, devenu père de famille, a aujourd’hui quelque chose du gendre idéal. S’il n’aura pas connu la longue histoire qu’un Gaël Monfils a eu la chance de vivre avec les Français, le pongiste a le temps d’envisager une reconversion à la Tony Estanguet. Au-delà d’un rôle d’ambassadeur, l’ex-numéro 8 mondial ferait un bon syndicaliste, lui qui n’hésite pas à donner de la voix pour faire valoir ses droits et dénoncer – preuves personnelles à l’appui – les conditions de travail des pongistes professionnels. On le verrait bien mettre ses convictions au service des instances fédérales, refondre le calendrier ITTF et assurer le respect des joueurs qui nourrissent la machine WTT. En attendant qu’il troque sa boîte à malice pour un cahier de doléances, Simon est attendu de pied ferme à Hennebont. La Pro A lui offrira d’autant plus d’opportunités de faire des étincelles face aux frères Lebrun, à Quadri Aruna ou à Liam Pitchford. Et d’étourdir un public aujourd’hui composé d’anciens initiés et de nouveaux convertis.