Quel héritage Timo Boll nous laisse-t-il ?

Quel héritage Timo Boll nous laisse-t-il ?

Image : Flickr

 

Samedi 8 mars, le jour de ses 44 ans, Timo Boll a joué son dernier match de saison régulière de Bundesliga, avec son club de Düsseldorf. Retour sur l’héritage et les leçons transmises par l’un des plus grands pongistes de tous les temps. 

 

Les matchs en carrière qu’il reste à Timo Boll se comptent sur les doigts d’une main. Titulaire avec le Borussia Düsseldorf samedi 8 mars dernier, jour de son anniversaire, il a joué sa dernière rencontre de saison régulière de Bundesliga contre Ochsenhausen, s’imposant 3-1 contre Tiago Abiodun puis s’inclinant 3-0 contre Simon Gauzy. À 44 ans, il jouera au mois de mai sa demi-finale de Ligue des Champions, et tentera peut-être, en juin, de quitter le circuit professionnel couronné d’un dernier titre. 

Dans notre récent hommage à Ma Long, nous évoquions son exceptionnelle longévité au plus haut niveau, à l’aune du réservoir et de l’immense concurrence structurant la domination chinoise. Ceux du continent européen étant un cran en dessous – même si l’écart a tendance à se réduire –, les carrières de ses légendes sont souvent plus longues, voire carrément vertigineuses, comme en attestent celles de Jan-Ove Waldner, Vladimir Samsonov, Werner Schlager ou… Timo Boll. Incarnation même du sportif ayant traversé les époques, imposant sa loi aux espoirs comme aux vétérans adverses, l’Allemand symbolise la résilience et la force de caractère du ping européen face à l’ascension chinoise des 25 dernières années. Liu Guoliang disait d’ailleurs de lui que “tant qu’[il] ferait du ping, je ne pourrais pas dormir sur mes deux oreilles.” 

 

De Kong Linghui à Lin Shidong, il les a (presque) tous battus

Si un joueur représente à lui seul ce premier quart de siècle de haut niveau, c’est bien lui. Dans sa carrière, Timo Boll a dominé le classement mondial à trois reprises : en 2003, en 2011 et en 2018, où il est devenu, à 36 ans, le numéro 1 mondial le plus âgé de tous les temps. Une carrière au cours de laquelle il aura rencontré pas moins de quatre générations de champions du monde et champions olympiques. En 2002, il remporte à 21 ans sa première coupe du monde, en battant notamment Wang Liqin en quart, et Kong Linghui en finale (alors champion olympique en titre). La seconde, plus grand tournoi de sa carrière, viendra trois ans plus tard, en 2005. Chose rarissime, Timo Boll y domine à lui seul toute l’équipe nationale chinoise, disposant de Wang Liqin (champion du monde en titre) en quart, de Ma Lin (double tenant du titre) en demi, et de Wang Hao (vice-champion olympique) en finale. Il les fit tous les trois plier 4-3, après quoi son compatriote Steffen Fetzner lui dira drôlement qu’il est désormais l’ennemi public numéro 1.

Image : Flickr

 

Nous pourrions épiloguer sur tous les titres en simple qui s’ensuivirent. Des championnats d’Europe et autres Top 12 européens à n’en plus finir, treize championnats d’Allemagne, cinq ligues des champions, et des ITTF Open partout sur la planète (dont un Open de Chine en 2006, qu’il est le seul non chinois à remporter en l’espace de 28 éditions étalées sur 18 ans, de 1998 à 2016). Plus qu’une menace du règne chinois, Timo Boll en fut le principal concurrent, un égal salué et respecté dans toute l’Asie. Interrogé dans The Spin of Life (2020), le documentaire que lui a consacré sa marque partenaire KUKA Robots & Automation, Ma Long affirme que Timo Boll “a toujours été le plus grand adversaire de l’équipe chinoise”. Pas étonnant qu’il ait accepté de jouer en double avec lui à plusieurs reprises (avec notamment une victoire à l’Open de Chine en 2013). 

Quelques années plus tard, en 2017, il signe un nouvel exploit en se hissant en finale de la coupe du monde, traumatisant Lin Gaoyuan en cours de route – un quart de finale aujourd’hui culte à la belle duquel Timo Boll remontera de 10-4 à 10-10 pour finalement s’imposer 13-11 – et battant Ma Long en demi (4-3) pour la première fois depuis 2008. Même si son compatriote Dima Ovtcharov le fit chuter 4-2 en finale, le joueur de Düsseldorf montra, à 35 ans, un tennis de table d’une intelligence et d’une virtuosité renversantes. Un an plus tard, donc, il redevenait numéro 1 mondial. Celui qui occupe actuellement cette place, le presque injouable Lin Shidong, a un drôle de Head 2 Head avec Timo Boll : 1-0 pour l’Allemand. C’était en huitième de finale du WTT Singapore Smash 2024, l’un avait 18 ans, l’autre 42. 

Quel héritage Timo Boll nous laisse-t-il ? Il nous laisse ce qui est peut-être l’un des plus beaux exemples d’abnégation, de courage et de fair-play du sport contemporain. Sa carrière dépasse le seul paysage du tennis de table, non seulement par ses rebondissements et la persévérance qui la caractérise, mais aussi, on l’a vu, par une certaine forme de solitude. Dans une discipline dominée d’une manière aussi impitoyable par une seule nation, Timo Boll a incarné pendant près de 15 ans la résistance et la possibilité d’une autre excellence. Il n’a jamais été champion du monde ou champion olympique. Sans doute son plus grand regret. Mais plutôt que d’y voir une impasse, nous y voyons l’évidence d’une œuvre à poursuivre. L’héritage de Timo Boll, c’est une inspiration de tous les instants pour les pongistes qui, quand ils arrivent à la table ou sont malmenés à la belle, veulent se dire que tout est possible.