Que doit Wang Chuqin à Lin Shidong ?
Image : WTT
Suite à sa victoire sans appel lors du WTT Champions de Macao, Wang Chuqin a retrouvé la place de n°1 mondial, qu’il avait laissée à Lin Shidong à l’issue du Singapore Smash de février. Sept mois au cours desquels le leader de l’équipe nationale chinoise a pu reconstruire son tennis de table, chercher de nouveaux objectifs, et plus généralement, souffler. Édito de la newsletter du 22 septembre.
Souvenez-vous : à la mi-septembre 2024, un bon mois après l’échec de ses Jeux olympiques en simple, un Wang Chuqin méconnaissable s’est incliné 4-1 en demi-finale du WTT Champions de Macao contre Lin Shidong, alors 12ème au classement ITTF. Une défaite qui, rétrospectivement, revêt moins des airs de passage de témoin que d’acte de confiance de la part du n°1 mondial, une manière de dire à son dauphin : “remplace-moi quelque temps, il faut que je réfléchisse”. C’est qu’à cette époque, nombre de questions taraudent les observateurs du ping chinois : quelle suite pour Ma Long, 34 ans, après ce troisième titre olympique par équipes ? Et Fan Zhendong, veut-il vraiment continuer ? Comment Wang Chuqin va-t-il se remettre de cette effroyable désillusion parisienne ? Des questions qui, d’une manière inattendue, se sont très vite incarnées dans un seul et même visage : celui du prodige de 19 ans Lin Shidong.
Depuis une semaine, et le retour de Wang Chuqin au sommet du classement mondial, les bras nous en tombent. Il aurait recouvré un trône que Lin Shidong, en bon intendant, lui gardait au chaud. Le “vrai” n°1 aurait retrouvé “sa” place. Cette vision nous semble non seulement mensongère et réductrice au regard du niveau affiché par LSD depuis un an, mais surtout, elle déforme le rôle que ce dernier a joué lors de cette époque charnière pour la domination chinoise. Wang Chuqin, et plus largement le ping chinois, doivent beaucoup à ce gamin dont le chemin tout tracé n’était en rien supposé l’amener aussi vite n°1 mondial.
Baraque tenue
N’ayons pas la mémoire courte : si Lin Shidong est aujourd’hui un incontournable pilier de l’équipe nationale, il en était un “simple” espoir il y a un an, au même titre que Xiang Peng ou Chen Yuanyu aujourd’hui. Après la coupe du monde de Macao remportée par Ma Long, les trois Olympiens étaient évidents : ce dernier accompagnerait Fan Zhendong et Wang Chuqin. Et derrière, en cas de catastrophe, il y avait le soldat Liang Jingkun (n°4), et l’expérimenté Lin Gaoyuan (n°7 encore en juin 2024). Mais au lendemain des Jeux, la cartographie est différente : des profils comme Félix Lebrun, Hugo Calderano, Truls Moregardh ou encore Tomokazu Harimoto font peser une pression folle sur cette équipe nationale en fin de cycle, qui s’attendait sans doute à une transition plus en douceur. L’échec de Wang Chuqin a rebattu toutes les cartes, et posé toutes les questions : avait-il vraiment les épaules pour tenir cette hégémonie ?
S’est ensuivie pour lui une longue période de doute, qui a commencé, justement, au lendemain du WTT Champions de Macao, plus précisément au China Smash. Sa défaite en 16ème contre Anders Lind, n°50 mondial, a fait l’effet d’une bombe, et cristallisé le constat d’une “dépression” post-JO. Le lendemain, on a vu son coach, Xiao Zhan, l'entraîner frénétiquement au contre-top. Ça ressemblait à une punition autant qu’à une invitation à retrouver la rage de jouer, plutôt que la rage de gagner. De son côté, Lin Shidong a survolé match après match le tournoi, jusqu’à une finale dantesque gagnée contre Ma Long (4-3), pour son tout dernier tournoi professionnel.
Avant ses 20 ans, le jeune homme est propulsé vainqueur de ce qui ressemble au plus grand tournoi du monde, si l’on compte le symbole autant que le niveau. Ensuite de quoi, il tiendra cette baraque chinoise en pleine reconfiguration interne, lui permettant de garder la face aux championnats d’Asie (finale perdue contre Harimoto), aux différents Contender de la période (victoire à Muscat et Almaty), et en Champions (demi-finale à Montpellier, victoire à Francfort). Le drapeau chinois n’a pas cessé de flotter au-dessus du monde du ping pendant le dernier trimestre 2024, mais il n’y en avait plus qu’un seul pour le tenir.
Un couronnement en février, et puis le silence
Son ascension vertigineuse étant allée de pair avec le mauvais moment de son compatriote, LSD l’a logiquement surpassé en février dernier, en remportant le Singapore Smash devant Liang Jingkun en finale (4-2). Wang Chuqin était déjà sur le retour après son titre au Finals, mais un retour fragile, dont le plus grand besoin était sans doute que, paradoxalement, la machine n’ait pas besoin de lui. Lin Shidong est donc devenu le plus jeune n°1 mondial de tous les temps, et depuis – chose assez folle –, aucun titre. C’est dire la pression que représente cette position pour les Chinois. Il échouera en finale du Champions de Chongqing contre Wang Chuqin, en finale de la coupe du monde de Macao contre Hugo Calderano, en demi-finale de la coupe d’Asie contre Liang Jingkun, en quart des championnats du monde de Doha contre le même joueur, en demi de l’United States Smash contre Harimoto, en huitième du Champions de Yokohama contre Dang Qiu, en finale de l’Europe Smash contre Truls Moregardh, et enfin en quart de finale du Champions de Macao contre Anders Lind.
Que doit Wang Chuqin à Lin Shidong ? D’avoir su être ce que lui n’a pas eu besoin de devenir, car ni Fan Zhendong ni Ma Long ne l’ont mis, en son temps, dans une situation semblable. Il lui doit d’avoir passé en trois mois autant de caps qu’on en passe d’habitude en trois ans, pour assurer la continuité quand on était à deux doigts de la rupture. Il lui doit d’avoir gagné pour que lui ait le droit de perdre. La suite, vous la connaissez : un premier titre de champion du monde aux airs de résurrection, un troisième Smash pour être à nouveau seul au monde, et ce Champions à Macao, repris aux mains généreuses de son compatriote. Lin Shidong aura été un numéro 1 mondial différent des autres, mais nul ne peut lui contester le droit de l’avoir été. Quand tout était sens dessus dessous en fin d’année dernière, son sursaut de maturité a facilité bien des choses. Il avait assurément la carrure, le mental et la constance d’un meilleur joueur du monde.