De toute façon, Fan Zhendong n’est pas de ce monde-là
Image : ITTF
Vainqueur une nouvelle fois des prestigieux Jeux Nationaux Chinois, en battant en cours de route Wang Chuqin et Lin Shidong, respectivement n°1 et 2 mondiaux, Fan Zhendong a affirmé son absolue domination sur le circuit national le plus relevé du monde, et ce, sans avoir de classement ITTF. Il n’en a plus besoin.
C’est une nouvelle ligne de poids que Fan Zhendong vient d’inscrire dans sa légende. Une ligne qui semble dire, littéralement, que ralentir le rythme, lâcher la pression, laisser la place aux jeunes, n’a parfois aucune espèce d’impact dans le niveau affiché par un sportif qui se décide à rejouer. Bien sûr, à 28 ans, Fan Zhendong n’a pas pris une retraite au sens où l’on peut l’entendre dans beaucoup d’univers sportifs. Le ping a ceci de singulier que les joueurs et joueuses prennent leur retraite en plusieurs étapes, quitte à cumuler parfois les activités. Ma Long par exemple, nommé il y a peu vice-président de la CTTA, la fédération chinoise de tennis de table, a lui aussi participé aux Jeux Nationaux, dans le tableau par équipes, alors même qu’on ne le voit plus sur le circuit WTT depuis le China Smash 2024, ni même en Chinese Super League – contrairement à Fan Zhendong. Double champion du monde et champion olympique, celui-ci a décidé de partir en même temps que son aîné et Chen Meng pour protester contre le règlement trop strict du WTT, qui a lâché du lest depuis, sans pour autant que ça le fasse revenir. Depuis, on l’a surtout vu sous le maillot du Saarbrücken TT, découvrant la Bundesliga, ses tables, son public, et ses diables.
Une question d’aura
Soyons honnêtes : on a toutes et tous pris une claque. Depuis son retour à la place de n°1 mondial, Wang Chuqin est injouable dans les plus grands rendez-vous. À Las Vegas puis quelques mois plus tard à Pékin, il a survolé les Smash, ne trouvant une vraie résistance qu’en demi (Félix Lebrun, puis Xiang Peng) avant de s’imposer 4-0 en finale (devant Harimoto puis Félix Lebrun). Rarissimes sont les joueurs qui sont parvenus à le vaincre en simple en 2025 (Liang Jingkun à Singapour, Calderano à Macao, Harimoto à Yokohama), et aucun n’est européen. Du reste, il était sorti vainqueur 3-1 de sa dernière confrontation avec Fan Zhendong, c’était en Super League le 31 décembre 2024. L’actuel n°1 mondial est un monstre dont l’aura à la table n’est plus à démontrer – son absence à Malmö avait d’ailleurs rendu le tournoi plus imprévisible et insoutenable que jamais.
De son côté, le champion olympique semblait avoir laissé des plumes en Allemagne. Arrivé en roi à Sarrebruck, il s’est fait surprendre par Romain Ruiz (alors n°300 mondial), puis par Benedikt Duda dès son entrée en lice, scellant le sort de son équipe face au Schwalbe Bergneustadt. Quatre journées de championnat plus tard, c’est Marcelo Aguirre qui trouvait la solution face à lui. Des résultats en demi-teinte pour un joueur de ce calibre, même si la question du changement de pays, de cadre de vie, de tables et de balles se pose forcément pour les expliquer. De retour chez lui en tenant du titre des Jeux Nationaux, il a tout renversé. D’habitude si imposant à la table, Wang Chuqin a paru étouffé, comme saisi à la gorge par un joueur à l’ascendant psychologique évident, incroyablement à l’aise sur ses services, et capable de bloquer ses pivots pleine ligne que personne d’autre au monde ne semble pouvoir ne serait-ce que toucher. Le public l’a vite accepté : Fan Zhendong est encore assez fort pour s’imposer 4-2 face à l’actuel meilleur joueur du monde.
Une finale presque triste
En Chine, Fan Zhendong est surnommé Xiao Pang, le « petit gros ». La litote s’impose pour réhumaniser ce joueur dont les ressources physiques et mentales ne semblent pas avoir de limites. En finale, se tenait face à lui son fils spirituel, Lin Shidong, surnommé Xiao Xiao Pang, le « petit petit gros » comme vous vous en doutez, en raison de leur gabarit similaire. L’actuel n°2 mondial en a vu d’autres, mais la déroute en finale fut sans doute plus sévère que prévu. Menant 9-4 au premier set, il a vu Fan Zhendong éteindre son ascension point par point, en enchaînant 7 pour s’imposer 11-9. Derrière, LSD est resté à flot (11-8), mais n’a pu que regarder son adversaire dérouler sa panoplie technique sur les trois derniers : 11-5, 11-3, 11-4. Score final : 4-1, et un deuxième titre consécutifs aux Jeux Nationaux pour le joueur de Shanghai, Jeux qui, rappelons-le, n’ont aussi lieu que tous les quatre ans.
La photo du podium a quelque chose d’ironique : un joueur sans classement mondial trône au-dessus des n°1 et 2 mondiaux, montrant symboliquement, non seulement qu’une carrière de pongiste ne s’arrête (et ne commence) pas sur le palier du circuit mondial, mais aussi qu’il y aura toujours des joueurs hors catégorie, hors concours, qui ne répondent qu’à leurs propres règles. Depuis le 4 août 2024, Fan Zhendong est de ceux-là. Il n’a pas besoin de classement mondial, car il n’est plus tout à fait de ce monde-là.