Le match parfait, puis la légende
Image : P.Lahalle I L’Équipe
Félix Lebrun est notre joueur de l’année 2024. La preuve en trois moments, et en trois articles. Premier volet : en à peine quelques mois, son rêve de participer aux Jeux olympiques de Paris s’est transformé en rêve de médaille. Une ascension vertigineuse qui a mené Félix Lebrun aux portes de l’Histoire, alors qu’il s’apprêtait à défier Hugo Calderano pour le Bronze, le 4 août dernier à 13h30. Retour sur le match le plus important de sa jeune carrière.
Jusqu’à quel point les choses peuvent-elles bien se passer ? Au moment où il entre dans l’Arena Paris Sud, pour la dernière fois en simple, Félix Lebrun sait ce qui se trouve au bout, et qu’il doit aller chercher. Derrière lui, des matchs aux scénarios divers : une victoire facile – mais avec quelques déchets de stress – contre Harmeet Desai en 32ème de finale (4-0), un match piège mais abouti contre Anton Kallberg en 16ème (4-2), une énorme frayeur en 8ème contre un Ovtcharov en mode come-back (4-3), un bras de fer irrespirable contre Lin Yun-ju en quart (4-3 aussi), et enfin, une désillusion aussi cruelle que logique en demi contre Fan Zhendong, injouable (0-4). Au cours de ces olympiades, aucun des matchs de Félix ne fut semblable à un autre ; par ailleurs, son head to head face à Calderano parle pour lui-même : ils sont à deux matchs partout.
Difficile, donc, d’anticiper comment se passera cette petite finale. Hugo Calderano a lui aussi à peu près tout montré pendant ces JO, notamment sa capacité à dompter une salle entièrement acquise à la cause de son adversaire (4-1 contre Alexis Lebrun quelques jours plus tôt). Félix le sait, il a plus à perdre que le Brésilien, lequel profitera du moindre doute pour aller chercher cette médaille olympique qui lui a échappé déjà deux fois. Mais très vite, le ton est donné. Félix s’offre sans trembler le premier set, imposant un rythme plus soutenu que jamais, notamment en revers. Derrière, la machine ne ronronne pas, et prouve à nouveau ses ressources : très maitrisée (6-2), sa première partie de set laisse place à quelques déchets, permettant au numéro 6 mondial d’obtenir une balle de set, sauvée tout en finesse par la qualité de poussette du Français. Plus confiant et cohérent dans son jeu, ce dernier transforme la sienne avec des revers millimétrés. L’Arena exulte, Félix a fait la moitié du chemin.
Le match monte en puissance lors de la troisième manche, les deux hommes faisant basculer certains points dans la diagonale coup droit. Sur le papier moins à l’aise dans cet aspect du jeu, Félix Lebrun, en transe, conserve l’avantage, poussant à plusieurs reprises son adversaire à mi-distance. Il ne fait pas de faute, ou très peu, complètement galvanisé par le moment. Étouffé, le Brésilien ne passe pas à côté de son match, Félix est simplement au-dessus. Comme un aveu d’impuissance, il rate son service sur la balle de set de ce dernier. 3-0. À ce moment-là, si un match resurgit dans la tête du numéro 5 mondial et de Nathanaël Molin, c’est sans aucun doute son 8ème de finale contre Dima Ovtcharov, dont l’expérience avait laissé naître chez lui une certaine peur de gagner à partir de 3-0. Fort de ce souvenir, Félix continue à dérouler, en coup droit comme en revers, écœurant un peu plus un Calderano impuissant. Après avoir laissé filer une balle de match, le Français laisse tomber sa raquette en voyant le dernier top de son adversaire rejoindre le filet. 11-6, 4-0, un match parfait, des larmes, et une médaille olympique à la maison. La première obtenue par un pongiste français depuis 24 ans. Félix Lebrun était loin d’être né.