Après son élimination surprise face à Truls Moregard en 16ème de finale des Jeux Olympiques, le numéro 1 mondial a traversé une période difficile, enchainant les contre-performances lors de tournois majeurs. Et puis vint ce WTT Finals à Fukuoka, où il s’est retrouvé dans le même quart de tableau que son bourreau…
C’est sans doute l’aspect le plus cruel de l’olympisme. Après les Jeux de Paris et son élimination en 16ème de finale face à Truls Moregardh – alors numéro 26 mondial – Wang Chuqin fut méconnaissable pendant plusieurs mois. Comme sonné. Lui qui était presque intouchable lors des grands rendez-vous (n°1 mondial depuis juillet 2023, vainqueur de deux Grand Smash consécutifs en début d’année, à Singapour et à Djeddah), a été vaincu successivement par son compatriote Lin Shidong (alors n°12 mondial) en demi-finale du WTT Champions de Macao, par le danois Anders Lind (n°50) en 16ème de finale du China Smash, par le jeune iranien Benyamin Faraji (n°210) en quart de finale par équipes des championnats d’Asie, par le coréen Oh Jungsun (n°34) en quart de finale simple de ce même évènement, et enfin plus récemment par le Suédois Anton Kallberg (n°27) en 8èmes de finale du WTT Champions de Francfort. Cinq matchs en quatre tournois au cours desquels Wang Chuqin a souvent affiché un visage fermé, absent, oscillant entre frustration et nonchalance. Il est rarissime de voir les meilleurs chinois ainsi et aussi longtemps, ce qui laisse assez peu de place au doute : c’est bien plus que le génie de Truls Moregardh qui lui est tombé dessus le 31 juillet dernier.
La veille, à 15h30 passé, lui et Sun Yingsha célèbrent leur titre olympique en double mixte. Partis favoris, ils viennent de s’imposer non sans difficulté contre la paire nord-coréenne en finale (4-2), offrant à la Chine la première des cinq médailles d’or qu’elle vise dans la discipline. Bousculés plusieurs fois pendant le tournoi – concédant deux sets à chaque match à partir des quarts de finale –, tous deux savourent d’autant plus ce premier sacre que l’or en double mixte avait échappé à Xu Xin et Liu Shiwen lors des Jeux de Tokyo. Pendant l’euphorie, et alors qu’une partie de la pression des deux numéros 1 mondiaux retombe, c’est soudain la confusion. À moitié ceinturé par son coach Zhan Xiao, Wang Chuqin est hors de lui : un photographe vient d’écraser sa raquette par mégarde, la rendant inutilisable. Le Graal olympique entre les mains, voilà qu’il semble abattu. Quand on sait les espoirs qui reposent sur les épaules d’un numéro 1 mondial aux JO – à son devoir de gagner s’ajoutant ici la nécessité de perpétuer la tradition d’une finale 100% chinoise –, l’ascenseur émotionnel de l’instant parait vertigineux.
Le lendemain, il devra gagner, dit-il alors en interview, et il devra le faire sans sa raquette principale. “C’est peut-être le destin”, ajoute-t-il même – difficile d’imaginer ce qui se passe alors dans sa tête. À ce stade, l’or olympique lui a procuré presque moins de joie que de frustration. On a pu lire ici et là qu’“ils en ont douze des raquettes”, et que ça n’aurait pas dû le perturber plus que ça. Crevons l’abcès : le ping, ce n’est pas le tennis. On n’a jamais deux fois la même raquette. Encore moins les Chinois, qui ont un processus de montage très spécifique des leurs. Par ailleurs, plus récemment, Félix Lebrun a changé la sienne au milieu de son quart de finale sous tension contre Benedikt Duda lors des championnats d’Europe. Il menait alors 3-2, et perdra finalement la rencontre, jetant de frustration sa raquette dans le décor. À cet égard, les deux situations sont comparables : Wang Chuqin a affronté le joueur sans doute le plus piégeux et créatif du circuit, et ce, au pire moment. Au cours de la rencontre, il interrogera ses revêtements à plusieurs reprises, se forçant à chercher des réponses là où elles n’étaient pas. Il ne jouait pas moins bien avec cette raquette de secours, mais donnait constamment l’impression de se dire qu’avec l’autre, il jouerait mieux. Après sa défaite 4-2, Wang Chuqin dira avec grandeur aux médias chinois que s’il a perdu, ce n’est pas à cause de cet incident, mais bien parce qu’il “a fait trop d’erreurs”, même s’il y a eu des “contraintes”. Sans doute savait-il pertinemment que l’affaire ferait polémique dans son pays, et qu’une enquête approfondie serait demandée. Ça n’a pas manqué. Ces Jeux devaient être les siens, ils ne l’ont pas été.
Les mois qui ont suivi cette désillusion furent sans doute les plus dures de la carrière de Wang Chuqin. Ombre de lui-même, les jambes moins véloces, la tête encore à l’Arena Paris Sud, le numéro 1 mondial a essuyé défaite sur défaite, face à des adversaires à chaque fois plus confiants face à lui – en témoigne leur réaction à chacun (de Anders Lind à Anton Kallberg) après avoir gagné, de moins en moins euphorique au fil des semaines. On aurait presque envie de dire qu’ils attendaient leur tour. Et puis vint l’annonce de la non-participation de Ma Long et Fan Zhendong au prestigieux WTT Finals, et avec elle une évidence : le règne chinois avait besoin que ses deux princes – Lin Shidong et Wang Chuqin – répondent présents pour perdurer. S’il n’y avait aucune inquiétude pour le premier, tous les regards étaient tournés vers le second, au plus bas de sa forme alors que double tenant du titre. De quoi avait vraiment besoin Wang Chuqin pour retrouver l’envie de gagner ? De jouer devant son public ? Il a échoué au China Smash. D’un titre absent de son palmarès individuel ? Il a échoué aux Championnats d’Asie. Non, la plaie était sans doute plus profonde. Ce dont il avait besoin, c’était de tourner la page, et de le faire avec une victoire symbolique. Il devait battre Truls Moregardh.
Toute la planète ping y a pensé en voyant le tirage du WTT Finals. S’ils l’emportaient tous les deux en huitième respectivement contre Patrick Franziska et Anton Kallberg, Wang Chuqin et Truls Moregardh se retrouveraient en quart. L’histoire est joueuse et fait bien les choses : les deux matchs ont vu les deux protagonistes l’emporter, facilement côté Wang Chuqin (que la perspective de retrouver son bourreau a galvanisé), difficilement côté Moregardh, qui, déchainé, a pris le dessus sur son compatriote au cinquième set. Ces retrouvailles étaient les plus attendues de l’année, elles ont eu lieu. Qu’en retenir ? Deux choses : premièrement, les matchs entre Wang Chuqin et Truls Moregardh auront désormais toujours une saveur particulière, comme toutes les affiches ayant un jour créé un séisme. Secondement, c’est dans ce match qu’on a retrouvé le Chinois à son niveau d’avant les JO. Après ça, il fut injouable ; d’abord contre Darko Jorgic en demi-finale (4-1), et surtout contre Tomokazu Harimoto en finale (4-0), pourtant au sommet de sa forme après sa victoire contre Lin Shidong. Un troisième titre en Finals de suite, qui signifie beaucoup de choses.
Difficile d’y voir une coïncidence. Il y a eu un avant et un après la défaite de Wang Chuqin contre Moregardh aux JO, tout comme il y a un avant et après sa victoire contre lui du 22 novembre dernier. Initiée et terminée par le même adversaire, une passionnante page de sa carrière se tourne. Elle l’a sans doute rendu encore plus fort.