Gilles Erb, président de la FFTT : “Le ping est au centre de ma vie, je l'ai abordé sous tous les angles”

Gilles Erb, président de la FFTT : “Le ping est au centre de ma vie, je l'ai abordé sous tous les angles”

Image : Ping Pang Effect

 

Quelques jours avant les championnats de France, nous avons rencontré Gilles Erb, président de la FFTT depuis 2020 et fraîchement réélu pour quatre ans, afin de mieux comprendre d’où il vient, son parcours, et vers quels horizons il souhaite emmener le ping français. Entretien fleuve. 

 

PPE : Peux-tu nous raconter ton histoire, ton parcours, et à quel moment le ping y entre ? 

 

Gilles Erb : Alors, ça remonte assez loin… On va dérouler. Je viens d’une famille strasbourgeoise avec un papa très sportif. C’est lui qui me met un jour le pied à l’étrier en construisant une table de ping dans la cave, posée sur des tréteaux, faite sur mesure pour nous. Très vite, il me transmet cette passion du ping. Juste à côté de chez moi, il y avait un foyer de quartier où, une fois par semaine, j’avais le droit d’aller. Il y avait une table de ping là-bas et ce moment-là signifiait la possibilité de rentrer plus tard, me coucher plus tard, donc forcément c’était associé à quelque chose de très positif. Du coup, je passais de la table bricolée par mon père à une vraie table homologuée. Ça voulait dire aussi rencontrer du monde, sortir de la maison où c’était quand même assez strict, et partager du temps avec d’autres. Le ping est donc resté dans ma vie comme un loisir, j’accompagnais mon père à ses matchs et ça créait entre nous un lien plus fort que dans d’autres sports que je pratiquais, comme le foot ou le hand. Et puis, ensuite, j’ai commencé à faire des stages régionaux l’été. Et là, forcément, ça fait progresser d’un coup, parce que le stage durait un mois entier. J’ai commencé à côtoyer des entraîneurs connus, des gens qui te tirent vers le haut, qui te font vraiment avancer. Assez vite, j’ai intégré les 10 meilleurs joueurs alsaciens, et puis, vers 17 ans, j’ai commencé à entraîner dans ces stages-là. J’ai basculé de joueur à entraîneur, parce que ça me plaisait d’accompagner les autres, de faire partie de cette dynamique. Et en même temps, je sentais bien que j’arrivais au bout de l’aventure côté joueur, vu que c’étaient des stages jeunes. La seule manière de rester, c’était de passer de l’autre côté. Et tout ça m’a permis de vivre mes premières grandes émotions, parce qu’assez vite, la Ligue d’Alsace m’a confié l’équipe régionale jeune pour les championnats de France par équipe. Je me retrouvais à voyager avec eux, à les coacher… Et on gagne, voilà. On a eu une médaille d’or, je ne sais plus si c’était en minimes ou en benjamins. Aujourd’hui, ça peut sembler un détail, mais à l’époque, c’était le gros “waouh”. J’avais 5 ou 6 gamins sous ma responsabilité, et on parcourait la France ensemble.


On sent que se dessine très vite chez toi cette volonté de faire grandir un club, une structure.

 

C’est intéressant ce que tu dis, il y a sûrement un peu de ça… Et en parallèle, tout ça me donne envie de devenir prof de sport. Donc à 18 ans, j’ai mon bac et je pars à la fac, à l’université de Strasbourg. Je me lance dans le cursus pour devenir prof d’EPS. En même temps, je continue de jouer, je reste investi dans le suivi des équipes d’Alsace. Je réussis mon CAPEPS, je deviens prof d’EPS et je suis muté à Paris. J’arrive donc dans un club parisien, l’AS Mantaise dans les Yvelines, et là, il se passe plein de trucs, parce que tout à coup, j’ai un temps fou. Je suis prof, j’ai mes 20 heures de cours par semaine, et le week-end, je suis un peu seul ici à Paris. Du coup, j’ai du temps, je joue tous les jours, plus que jamais. Et forcément, je continue à progresser. À 20, 22 ans, je progresse encore vachement. Puis arrive le service militaire. Je vous passe les détails, mais je négocie un deal avec le général du coin, et coup de bol, il me donne l’autorisation de ne pas venir tous les jours à la caserne. Et là, je me dis : “Qu’est-ce que je vais faire de ce temps libre ?” Et ben je file à l’INSEP. Presque tous les jours, je me retrouve à l’INSEP, en immersion totale avec l’équipe de France de l’époque. C’était la grande époque : Jean-Philippe Gatien, Damien Eloi, Patrick Chila… les Mousquetaires, quoi. Ces mecs-là me faisaient rêver, et donc je me dis : “Tant que j’ai ce temps-là, je vais écrire un bouquin.” Du coup, je me lance, j’essaie de raconter ce que le ping représente pour moi. Mais bon, écrire un bouquin à 22 ans et chercher à le faire éditer, ce n’est pas évident, surtout que je n’ai jamais été joueur de très haut niveau, je n’ai jamais fait partie de l’équipe de France, rien de tout ça.


Il y a chez toi un intérêt initial pour la littérature ou pas du tout ?

 

Non, c’était simplement l’envie de partager quelque chose. À l’époque, il faut savoir qu’aucun livre consacré au tennis de table n’était sorti depuis près de vingt ans. Il y avait un véritable vide, un manque dans la littérature sportive sur cette discipline. Et finalement, cette situation représentait une opportunité, un défi personnel que j’ai eu envie de relever. J’ai donc écrit ce livre, qui a été publié chez Amphora, l’éditeur de référence dans le domaine des ouvrages sportifs à l’époque. Contre toute attente, le succès a été au rendez-vous. Non pas parce que l’ouvrage était exceptionnel, mais simplement parce qu’il répondait à un besoin réel. Il n’existait rien d’autre sur le sujet, et cela a sans doute expliqué l’engouement. Jean-Philippe Gatien a accepté de signer la préface et de figurer en couverture du livre, ce qui a évidemment apporté une réelle crédibilité à l’ouvrage. Le hasard a d’ailleurs joué en ma faveur : j’ai terminé l’écriture en 1992, et en 1993, Gatien devenait champion du monde. Avec le recul, j’ai eu une chance incroyable, car quelques mois plus tard, il aurait été bien plus difficile, voire impossible, de l’associer au projet. Il y a d’ailleurs plusieurs anecdotes autour de cette aventure. Par exemple, pour la photo de couverture, je me suis retrouvé à l’INSEP avec Gatien, sans aucune compétence en photographie. Je suis allé louer un fond dans un magasin spécialisé pour essayer de faire les choses correctement… C’était très artisanal, mais cela a fonctionné. Finalement, cette expérience a été un moment très important pour moi. Elle a nourri et renforcé mon amour du tennis de table. Grâce à ce projet, j’ai vécu des choses qui m’ont profondément marqué, des expériences qui ont continué d’alimenter ma passion et m’ont procuré de véritables émotions.


J’imagine qu’à ce moment-là, tu commences à te faire connaître dans le milieu, non pas seulement en tant que joueur, mais en tant que leader d’opinion si l’on peut dire, grâce à un livre qui trouve son lectorat.

 

Disons que raquette à la main, je n’ai jamais fait rêver personne ! Mon parcours ne m’a pas mené très loin en tant que joueur. Mais à mon retour du service militaire, le hasard a une nouvelle fois joué en ma faveur. Lorsque je me suis présenté à Montreuil, le ministère de l’Éducation nationale m’a informé que le poste que j'occupais n’existait plus et m’a demandé où je souhaitais être réaffecté. J’ai alors saisi l’occasion de rentrer à Strasbourg, et ma demande a été acceptée. De retour en Alsace, je me suis interrogé sur la suite à donner à mon parcours. Rapidement, l’idée de créer une section sportive dédiée au tennis de table a émergé. À l’époque, aucune section de ce type n’existait en Alsace. J’ai alors cherché le lieu le plus adapté, en visant un site réunissant au même endroit une salle d’entraînement, un internat et un établissement scolaire. Je considérais que cette unité de lieu était un critère essentiel à la réussite du projet. Après un an de recherches, j’ai finalement trouvé cet endroit à Haguenau, en périphérie de Strasbourg. L’établissement a accepté de me faire confiance, et en septembre 1994, la première section sportive tennis de table d’Alsace a vu le jour. J’ai eu la chance d’attirer rapidement les meilleurs jeunes joueurs alsaciens, ce qui a grandement contribué au succès de la structure dès ses débuts. Je me suis investi pleinement dans ce projet, au point de faire évoluer cette section en un Pôle Espoir, intégré à la filière de haut niveau de la Fédération, dès 1995. J’étais véritablement à ma place, pleinement épanoui dans ce rôle qui me passionnait. Les résultats ne se sont pas fait attendre : chaque année, nos jeunes figuraient parmi les meilleurs aux championnats de France, souvent sur les podiums. Nous avons formé des joueurs qui portaient cette identité de travail et d’exigence que j’avais voulu instaurer. Le centre s’est progressivement développé ; j’ai recruté quatre personnes au fil des années et vécu des moments forts, notamment en tant qu’entraîneur des équipes de France jeunes. Avec le recul, et sans prétention, je crois pouvoir dire que ce centre est devenu l’un des meilleurs de France. Certaines initiatives prises à l’époque me semblent encore aujourd’hui remarquables. J’avais cette volonté d’ouvrir les horizons de mes joueurs et de leur faire découvrir le tennis de table à l’international. J’ai donc organisé des stages à l’étranger : d’abord en Allemagne, ce qui était relativement simple depuis Strasbourg, puis en Belgique, en Suède, et même en Chine au début des années 2000. À cette époque, il était encore très rare d’emmener un Pôle en Chine pour un stage de trois semaines, ce qui a représenté une expérience exceptionnelle, tant pour les joueurs que pour moi.


Quand tu commences à voyager, as-tu déjà des contacts et autres interlocuteurs célèbres ? De grands entraîneurs ou joueurs étrangers vers qui tu peux te diriger ?

 

Non, aucun. À ce moment-là, mon unique objectif est d’observer comment s’entraînent les meilleurs ailleurs, afin d’enrichir mes compétences et de faire progresser ma structure, le Pôle Espoir. J’ai l’obsession de faire de ce pôle l’un des meilleurs du territoire et d’accompagner les jeunes vers le plus haut niveau. Créé en 1994, ce Pôle Espoir a été mon projet pendant plus de dix ans. Mais en 2007, je décide de le quitter. Le sentiment d’avoir fait le tour de la mission s’installe. Et alors par hasard, lors d’une promenade dans mon village, je croise un ancien professeur de l’université. Je lui confie mes envies de changement et il me répond que la Faculté des Sports de Strasbourg recherche justement un enseignant spécialisé dans les sports de raquette. Je quitte donc le Pôle Espoir le cœur lourd, les larmes aux yeux, et un nouveau défi s’ouvre à moi. Ma mission est d’accompagner les étudiants dans leur préparation au concours de professeur d’EPS, tout en apportant mon expérience d’entraîneur issue du Pôle Espoir. Très vite, je trouve du plaisir à enseigner face à ces étudiants, le contact passe bien et je m’épanouis dans ce nouveau rôle. Pourtant, deux ans plus tard, alors que j’imaginais pouvoir souffler un peu après ces années assez intenses, je me retrouve élu, en 2009, doyen de la Faculté des Sciences du Sport. C’est un saut dans l’inconnu : je prends la tête d’une faculté historique, d’un laboratoire de recherche, et d’une équipe de 50 enseignants chercheurs,  alors même que je ne suis ni chercheur, ni universitaire de formation, mais « seulement » professeur d’EPS agrégé. J’élabore le projet de la faculté et me retrouve rapidement à voyager à l’international pour développer des partenariats et des axes de recherche. J’apprends sur le terrain, notamment la gestion administrative, et je prends énormément de plaisir à ce nouveau rôle. Je m’attache à développer la marque de la Faculté des Sciences du Sport de Strasbourg avec un vrai esprit d’entrepreneuriat. Je crée une franchise vendue à l’international, je mets en place du merchandising, tout un ensemble de choses assez inédites pour cette faculté. Mon objectif est de faire évoluer durablement la structure et lui donner une véritable visibilité. C’est aussi à cette période que je découvre la recherche, un univers qui m’était jusque-là totalement étranger. En 2014, au terme de mon mandat de doyen, deux options s’offrent à moi : me représenter, comme beaucoup m’y encouragent, ou me confronter moi-même à la recherche et voir si j’en suis capable. Je prends la décision de ne pas briguer un second mandat de doyen et de me lancer dans la recherche. Je me rends dans le bureau de ma secrétaire et je lui dis : « Demain, il faut me sortir une carte d’étudiant ». À 50 ans, je redeviens étudiant en master Marketing du Sport, un domaine totalement éloigné de mon parcours d’entraîneur ou de professeur d’EPS.

 

C'est un pari assez risqué quand même, redescendre "en bas de l'échelle" entre guillemets. Tu te dis qu'il est indispensable de reprendre les études ?

 

Ce choix est né d’une rencontre avec un enseignant-chercheur qui, au détour d’un café, m’a fait prendre conscience que tout ce que j’avais construit au Pôle Espoir – développer une marque, créer une identité – relevait déjà du marketing. J’ignorais le terme, mais j’en faisais sans le savoir. Je valide mon master en structurant sous un angle théorique ce que j’avais appliqué sur le terrain, notamment dans mes fonctions de manager, un terme qui correspond finalement mieux à mon rôle que celui d’entraîneur. Cet enseignant m’oriente rapidement vers l’Université Paris Saclay, la référence nationale en marketing du sport. Initialement, je souhaitais comparer la trajectoire de deux fédérations : celle de tennis de table, en déclin selon moi, et celle de badminton, en pleine progression. Mais Christopher Hautbois, mon futur directeur de thèse, balaie rapidement ce projet ; il me dit : « Ça n’a pas d’intérêt scientifique. Ce serait comme comparer le service d’oncologie de l’hôpital de Caen à celui de Rouen… Personne ne lira ça. Moi, je dirige trois thèses par an, je veux des thèses qui comptent. » Je lui demande donc ce qu’est une « thèse qui compte ». Il me répond : « tu vas faire la première thèse sur le marketing des fédérations sportives olympiques. » La proposition me surprend : ce n’est pas ce que j’avais imaginé. Mon intention était avant tout de découvrir la recherche, pas de me lancer dans un projet d’une telle ampleur. Je lui demande du temps pour réfléchir et je retourne à Strasbourg consulter l’enseignant-chercheur en marketing avec qui j’avais débuté ce parcours. Après réflexion, il m’encourage à accepter ce défi. Je recontacte alors Christopher Hautbois pour confirmer ma décision. 


Mais quand tu te lances dans cette thèse, tu as une idée claire de ce que tu veux faire après ? Parce que j’ai l’impression que jusqu’ici, tous les virages de carrière que tu prenais étaient faits au nom d’un objectif précis. 

 

Disons que c’est la deuxième fois que je me lance dans un univers totalement inconnu. La première, c’était en quittant le Pôle Espoir pour rejoindre l’université. À chaque fois, il y a une part de risque, mais mon statut de fonctionnaire, que j’ai conservé tout au long de ce parcours, me protège. Je sais qu’en cas d’échec, je peux toujours redevenir enseignant d’EPS dans un collège ou un lycée. Ce statut me donne la liberté de relever des défis, de saisir des opportunités et de vivre pleinement ces expériences au moment où elles se présentent. Je réalise cette thèse en trois ans, et je prends un plaisir immense. Elle me permet d’entrer au cœur du fonctionnement des fédérations sportives olympiques, de comprendre leurs réalités, leurs difficultés et leurs différences. Au final, je produis une thèse de 1400 pages, qui devient la référence sur le sujet, avec un jury international à la soutenance. En 2018, à l’issue de ce travail, un constat s’impose à moi : ma propre fédération, celle de tennis de table, prend une mauvaise direction, elle manque d’un réel projet la structurant. Cette prise de conscience me pousse à explorer la possibilité de créer un élan autour d’une candidature à la présidence. En 2019, par exemple, il n’y a pas de pôle marketing à la fédération, alors que cela faisait des années que d’autres avaient pris ce virage. Je décide donc de rassembler 80 personnes pour élaborer un programme ambitieux de développement du tennis de table. J’organise des équipes thématiques, coordonne les travaux et construis une vision claire pour le ping. Cette démarche s’accompagne d’un tour de France pour présenter le projet et mobiliser l’ensemble des acteurs. 


Tu arrêtes donc tout ce que tu fais pour te consacrer pleinement à la campagne ? Tu savais déjà comment une campagne de ce type fonctionnait ?

 

Le top départ, c’est septembre 2019 : je lance officiellement ma candidature lors des Championnats d’Europe à Nantes. Avec l’appui des 80 personnes mobilisées en amont, la campagne est minutieusement planifiée : calendrier, publication du programme, tournée sur le terrain pour rencontrer les acteurs d’un milieu que j’avais quitté depuis dix ans. Ce tour de France était essentiel pour renouer le lien et asseoir ma légitimité. La crise du COVID bouleverse le contexte, mais je poursuis la campagne avec détermination, sans modèle d’inspiration extérieure, uniquement sur la base d’un plan qui me semblait réaliste. Contre toute attente, je remporte l’élection le 6 décembre 2020, en pleine pandémie. Je deviens président de la Fédération sans n’avoir jamais rêvé ou construit ma carrière pour ce poste, là où d’autres suivent généralement un parcours très balisé dans les instances sportives. Ce qui me caractérise, je pense, c’est cette capacité à relever des défis et à me projeter dans des transformations. Le ping est au centre de ma vie, je l’ai abordé sous tous les angles : joueur, entraîneur, dirigeant, enseignant, formateur, chercheur et aujourd’hui président. À chaque fois, j’ai plongé dans l’inconnu avec conviction et une vision claire de ce que je voulais accomplir. Au final, alors même que je m’approche de la retraite, j’ai le sentiment de n’avoir jamais vraiment travaillé tant j’ai toujours fait ce qui me passionnait. Mon moteur a toujours été le plaisir de construire, de transformer et d’oser aller là où je n’étais pas attendu.


C’est quoi le quotidien d’un président de la FFTT ?

 

C’est génial. C’est une vie de rencontres, une vie de convictions, où tu portes ta vision du sport et de sa contribution à la société. Aujourd’hui, je suis avec vous, je discute avec vous. Tout à l’heure, j’ai un projet avec un chercheur qui travaille sur le mental, et à midi je déjeune avec un entraîneur de l’équipe de France. C’est d’une richesse inouïe. Chaque journée est différente, chaque journée est d’une densité folle, mais surtout, chaque journée est une journée de rencontres. Moi, finalement, ce que je dois essayer de faire, c’est de garder la cohérence de la vision, m’assurer qu’on est tous bien alignés dans le projet. Parce que chacun arrive avec ses idées, ses envies, et moi j’ai besoin de garder tout ça dans un cap commun. D’ailleurs, c’est assez rare, mais on a un vrai projet écrit, qui fait 50 pages, très détaillé. Il y a une vraie feuille de route. Et puis, c’est aussi manager une fédération qui doit être transformée, qui doit être de plus en plus connectée, d’une part à la société, et d’autre part aux clubs et à leurs adhérents. C’est ça que j’essaie de faire au quotidien, à travers divers projets, divers enjeux, c’est ça mon job. 


Est-ce que tu as des rituels ? Par exemple, est-ce que tu consacres le matin à un certain type d’activité, et l’après-midi à un autre, des impératifs, etc ? 

 

En fait, je suis à Paris les lundis, mardis et mercredi. Donc là, c’est beaucoup de rencontres physiques, parce que dans le boulot de président, il y a aussi toute une dimension de représentation. C’est-à-dire que tu représentes la fédération ici, là, ailleurs… Il y a énormément de sollicitations : entre les différents ministères, le CNOSF, l’Agence nationale du sport… Il faut comprendre que tu es dans un écosystème. Et peut-être que c’est ça, un des éléments les plus importants quand tu veux manager ou transformer quelque chose : c’est d’abord de bien comprendre l’écosystème dans lequel tu évolues, de gagner en influence dans cet écosystème, et proposer un projet qui permette à ta structure d’y trouver une place plus forte. Et ça, ça passe par des rencontres, par des discussions avec un tel, un autre, encore un autre… Tu te nourris, tu affines ta compréhension, tu forges tes convictions. Et ensuite, tu peux mieux les transmettre, mieux influencer les personnes qui ont le pouvoir d’agir. Quand tu fais face à de nouvelles initiatives, quand tu découvres d’autres approches, tu réfléchis à comment tu peux articuler ta propre vision du ping avec ces nouveautés. Comment on peut créer un terrain d’entente, imaginer des synergies, faire évoluer notre projet. Moi, j’ai une vision très ouverte. Et je pense que c’est peut-être là une vraie différence. Parce que quand je dis que je veux m’intéresser et discuter avec des gens au-delà des licenciés, ça peut paraître anodin, mais en réalité, ce n’est pas du tout dans la culture des fédérations. Généralement, une fédération parle à ses clubs, à ses licenciés. Le site internet est conçu pour eux, pas pour l’extérieur. Donc quand je dis qu’on doit parler à l’extérieur, c’est déjà une approche assez novatrice. Et quand je dis qu’on doit s’occuper du ping, mais du ping comme outil pour servir la société, là encore, c’est un vrai positionnement. Ce n’est pas une évidence. Ce sont des messages forts : se demander comment ton sport peut contribuer à rendre la société meilleure, à avoir un impact. Parce que sinon, à quoi ça sert, au fond ? Si ce n’est pas pour une cause plus grande, plus forte ? C’est ça, notre valeur ajoutée. Si on est identiques à toutes les autres fédérations, on devient tous interchangeables. Si on peut remplacer le ping par le tennis ou un autre sport, alors il n’a plus de raison d’exister en tant que tel. Ce qui donne notre valeur, c’est notre différence. Et c’est ce que j’ai cherché à faire dès le premier mandat : identifier en quoi notre fédération pouvait se distinguer des autres fédérations olympiques. Bien sûr, notre mission naturelle, c’est de faire des résultats sportifs ; on reste une fédération olympique. Mais je crois qu’aujourd’hui, une fédération ne peut plus se contenter de produire des champions. C’est essentiel, mais on peut aller plus haut, plus loin, plus fort. On peut porter des enjeux sociétaux plus vastes, plus ambitieux.


Quels sont les grands chantiers du moment ?

 

Je peux te donner deux ou trois exemples très actuels. Le premier, c’est la candidature de la France pour organiser les championnats du monde 2027. Là, on essaie vraiment d’écrire une histoire. On a deux pépites mondiales, les frères Lebrun, et si on se projette, on se dit qu’ils ont tout le talent pour devenir un jour champions du monde. Alors, comment moi je peux les aider à le devenir ? Je peux tout faire pour les accompagner avec la team Lebrun, créer les meilleures conditions possibles… mais leur offrir un championnat du monde en France, c’est leur offrir les meilleures chances de réaliser ce rêve. Imagine si l’un des frères Lebrun devient champion du monde chez lui, à Montpellier ! Pour la fédération, c’est un truc de dingue. Bien sûr, obtenir ces championnats, c’est un vrai défi, parce qu’on n’est pas les seuls à les vouloir. La décision se prend par un vote international, et un pays = une voix. Donc en tant que président de la fédération, tu prends ton téléphone : « Allô le président du Kazakhstan ? », « Allô le président du Congo ? »… C’est complètement fou. C’est un énorme projet, on construit le dossier en ce moment, on le dépose le 31 mars, et il y aura un grand oral en mai. On saura le 28 mai si on est retenus. Deuxième gros chantier : dans cette volonté de moderniser et transformer la fédération, je veux lui donner une nouvelle identité à travers une nouvelle marque. Je crois que c’est essentiel, parce que tu peux transformer ce que tu fais, mais si ce qui te définit – ton logo, ton slogan, ton image – ne bouge pas, tu ne donnes pas de signaux forts à l’extérieur. Donc on travaille là-dessus, et c’est passionnant de réfléchir à ce que cette marque va raconter. Quelle image va faire parler de toi ? Quelle histoire vas-tu raconter avec un simple signe, une petite image ? Je trouve ça fascinant. Et puis, le troisième exemple que je peux te donner, c’est qu’on est engagés dans une démarche pour que la fédération devienne une “fédération à mission”, sur le modèle des entreprises à mission. L’objectif, c’est qu’en juin, on devienne la première fédération à mission. Ça veut dire qu’on affirme qu’on veut faire plus que du sport : on veut contribuer à rendre la société un peu meilleure. On va travailler sur l’utilité sociale de la fédération. Concrètement, ça signifie se fixer des missions qui vont au-delà du simple objectif sportif. Parmi ces missions : l’éducation par le ping, la santé par le ping, l’insertion, l’inclusion, et même le développement durable par le ping. Voilà ce qu’on veut porter.


L’engouement actuel autour du ping, comment le ressens-tu ? Penses-tu qu’il est voué à perdurer dans le temps, ou à s’estomper quelque peu ?

 

C’est une question complexe, parce qu’on pourrait y répondre très rapidement si on restait en surface, mais en réalité, pour atteindre le niveau d’engouement qu’on connaît aujourd’hui, plusieurs conditions ont dû être réunies. La première, c’est qu’on a des champions hors norme. Et ça, c’est à la fois une chance, mais aussi le fruit de bonnes décisions qu’on a su prendre. C’est une chance de les avoir dans un contexte particulier : un père et un oncle très investis, anciens joueurs, et le COVID, qui leur a permis de franchir une étape extrêmement difficile : passer de la 80e place mondiale à la 10e. Une étape que très peu de joueurs dans le monde franchissent aussi rapidement. Et eux l’ont fait pendant cette période, parce qu’ils ont pu continuer à s’entraîner dans de bonnes conditions, grâce à ce cadre familial. Ils ont un talent exceptionnel, une personnalité forte… Mais des talents, il y en a ailleurs dans le monde, et pourtant ça n’a pas créé le même engouement. Donc ça veut dire qu’il y a autre chose. Et pour moi, cette autre chose, c’est une fédération qui est prête à bouger, qui a commencé à se moderniser dès 2020, et qui continue à le faire. Par exemple, aujourd’hui, on organise des tournois avec des influenceurs, on se connecte à la société d’une façon beaucoup plus directe qu’avant, et c’est aussi pour ça qu’on a une résonance forte. Aujourd’hui, on a des moyens qu’on n’avait pas auparavant, qui nous permettent de nous développer plus vite et de surfer sur cette vague. Il y a une sorte d’alignement des planètes qui fait que ça fonctionne, et que tout ça se complète. La fédération est perçue comme moderne, il y a une vraie hype autour du ping, parce qu’on dégage des valeurs, une forme de modernité, et parce qu’on a des champions charismatiques, très forts, porteurs d’une belle histoire, avec une personnalité qui plaît. Et la fédération, là-dessus, pousse aussi fort que possible pour entretenir cette flamme.


Comment vois-tu la fédération pour les 10 ou 15 ans qui viennent ?

 

On a transformé les fondations de la fédération, maintenant il faut qu’on accompagne la croissance qui est la nôtre pour les 10 ou 15 années à venir. C’est pour ça que je dis : il faut aller encore plus loin, être encore plus exigeants, aller encore plus en dehors de notre cercle habituel, s’ouvrir vers le « ping pour tous », trouver une vraie utilité. C’est vraiment ça, aujourd’hui, le projet de la fédération. Ce n’est pas juste émettre des règlements sportifs ; c’est contribuer à ce que le ping demeure ce qu’il est : un véritable ciment social. Mon but, c’est de faire de la fédération une fédération qui compte, qui fasse la fierté de ses licenciés, qui compte pour les citoyens, qui compte pour la société dans son ensemble. Il faut qu’on ait une vraie place, une grande place. Et je pense que le tennis de table, parce qu’il est très populaire, en a les moyens. Je ne lutte pas contre cette idée, mais parfois, on nous réduit un peu aux frères Lebrun. J’ai une immense estime pour ce qu’ils font, mais si on n’a que ces deux champions-là, et que la fédération ne suit pas derrière, ne structure pas tout ça, ça va devenir un épiphénomène, et ça va s’arrêter. Mon rôle aujourd’hui, c’est justement de faire en sorte que ce soit le déclencheur de quelque chose de plus grand, de plus fort et de plus ambitieux. C’est aussi pour ça que j’ai pris des responsabilités au sein du Comité national olympique et sportif français et à l’Agence nationale du sport, où je suis président de la commission Héritage. Je veux pousser les barrières pour élargir, ouvrir les frontières du sport dans son ensemble.


Propos recueillis par Jérémie Oro, au siège de la Fédération française de tennis de table, le mardi 11 mars 2025.