“Ma tête est trop grosse ?” : pourquoi la VAR du ping est pour l’instant une catastrophe

“Ma tête est trop grosse ?” : pourquoi la VAR du ping est pour l’instant une catastrophe

Image : ITTF

 

Testé pour les dernières heures de la coupe du monde mixte de Chengdu et actuellement mis en place de façon permanente pour celle de Macao, le système de vidéo-arbitrage Table Tennis Review (TTR) a vocation à réduire les services cachés et les bords de table litigieux. Mais le prix sportif est pour l’instant exorbitant. 

 

 

Le sujet n’a fait qu’enfler ces dernières années. Entre la démocratisation de services toujours plus masqués, la domination de joueurs comme Wang Chuqin ou Lin Shidong – dont les services suscitent des débats depuis toujours –, et la mise en place dans beaucoup d’autres sports d’un dispositif de vidéo-arbitrage voué à faire appliquer les règles à la lettre, le ping avait besoin d’un grand débat sur la nécessité d’une telle révolution. Les instances l’ont eu, et viennent d’instaurer, pour cette coupe du monde à Macao, la Table Tennis Review (TTR), une technologie mise au service des arbitres – mais aussi des joueurs, c’est tout le problème – pour justifier (ou contester) une décision. Sous ses airs de garant impartial des règles du ping, l’objet ressemble pour l’instant à un cadeau empoisonné qui non seulement casse le rythme des parties du fait de son utilisation plus longue qu’un temps mort, mais donne aussi lieu à des situations ubuesques où les arbitres eux-mêmes ne savent pas comment interpréter les résultats. 


Les joueurs, nouveaux arbitres assistants

Dans son communiqué présentant le dispositif, l’ITTF explique qu’outre le fait que les arbitres peuvent désormais prouver le bien-fondé de leurs décisions, chaque joueur a droit à deux appels contestataires par match, renouvelables ou annulables selon la décision qu’ils entrainent. Vous ne comprenez pas ? Voici un exemple : votre adversaire, qui s’apprête à servir, lance la balle avec un angle qui vous semble supérieur aux 30 degrés légaux. L’arbitre ne dit rien, mais vous pouvez arrêter le point avant même qu’il ne touche la balle, pour demander la consultation de la TTR. Après quatre minutes de chargement au cours desquelles vous sautillez en regardant le sol ou votre coach, celle-ci annonce un angle à 37 degrés : vous avez donc raison, votre adversaire perd le point, et vous conservez vos deux appels, étant donné que celui que vous avez utilisé s’est révélé conforme au règlement. 

Autre possibilité : la TTR indique 28 degrés, service légal. Vous avez non seulement arrêté le jeu un long moment, mais en plus pour une mauvaise raison. Rien à voir, donc : votre second appel vous est retiré, et ce, jusqu’à la fin du match, même si plus tard les lancers de votre adversaire changent (pour servir revers ou pioche par exemple). En d’autres termes, tant que vous êtes certain de votre bon droit d’arrêter le point, vous êtes protégé ; mais si vous vous trompez une seule fois, vous devrez vous soumettre au jugement de l’arbitre jusqu’à la fin de la rencontre, même s’il ne voit pas un service à vos yeux illégal. Dernière possibilité : pas de conclusion certaine de la TTR – si, ça existe – votre appel vous est rendu, et le point est remis. Jamais un tel pouvoir sur le rythme d’un match n’avait été conféré aux pongistes. 

Que ce soit par bonne foi ou par antijeu, cette possibilité d’arrêter le match pour plusieurs minutes, même au prix d’un point perdu, commence déjà ses ravages. La physionomie d’un match est indissociable du rythme imposé par le joueur qui le domine. Comment peut-on passer des incessants « play please » dès qu’un joueur prend un peu de temps, à ce pouvoir d’interruption de match pour une durée à peine moins longue qu’un temps mort médical ? La dimension sacrée d’un arbitre de sport repose non seulement sur son droit à l’erreur, mais aussi sur le fait qu’il n’est en principe pas forcé de prouver le bien-fondé de sa décision. Quand l’arbitre de la légendaire demi-finale entre Ma Long et Dima Ovtcharov lors des JO de 2020 reprend le premier en disant qu’il fait tourner la balle en la lançant (chose interdite), il le fait en vertu de l’impartialité propre à son rôle. Imaginez maintenant qu’Ovtcharov eut pu le faire à un moment décisif, pour s’offrir un deuxième temps mort, déstabiliser son adversaire, au prix d’un point perdu ou avec à la clé un point gratuit. 


Déjà des victimes

La coupe du monde de Macao est une compétition étrange, on le savait. Mais nous ne nous attendions pas forcément à ce qu’un joueur – le Taïwanais Feng Yi-hsin – y demande à un arbitre si sa tête est trop grosse, après que celui-ci a arrêté son service, supposément caché un quart de seconde par son crâne. À ce niveau-là, ce ne sont ni les règles qui sont mal faites, ni les joueurs qui ne font pas d’effort, c’est la matérialité même du ping qui devient un sujet. Comble de l’ironie – et du scandale – l’arbitre lui répondra “oui !”. Le déjà cité Dima Ovtcharov a eu un échange similaire avec une arbitre, alors qu’il affrontait Chan Chi In : “lancer pas assez haut” dit l’arbitre. “Quelle hauteur faisait-il ?” demande Dima. “Je ne sais pas”, répond l’arbitre, après que la TTR a donné raison à l’Allemand, dont le service était en tout cas bien supérieur aux 16 centimètres légaux. Un point gâché, un malaise inutile, une arbitre décrédibilisée, un rythme cassé, et au final, un set faussé. 

Ce mercredi, Darko Jorgic a pris le contrôle du dernier set contre Kao Cheng-jui à coup d’appels et de discussions avec l’arbitre impuissant, comme forcé de consulter la vidéo, et d’enlever des points au Taïwanais pour quelques degrés de trop dans l’angle de son lancer. Le rythme n’avait plus rien de celui d’un match de ping, alors que le Slovène s’assurait qu’il possédait toujours ses deux appels contestataires. En fin de match, une poignée de main souriante comme si de rien n’était. Quelle saveur a eu sa victoire ? C’est l’indispensable différence de pouvoir entre les joueurs et les arbitres que la TTR fragilise, du moins telle qu’elle existe maintenant. Elle rompt leur contrat moral, et dénature leur relation. La possibilité de contester leur décision, et le prouver matériellement réduit considérablement leur champ d’action, et les place dans une position non plus de figure d’autorité, mais quasiment d’“employé” de la rencontre, soumis au doute et à la remise en question. Après une décision contestée à raison par un joueur, combien s’abstiendront de réagir au litige suivant, de peur d’à nouveau se tromper ?