De passage à Paris avant le WTT Champions de Francfort, Lily Zhang ne voulait pas manquer de venir taper la balle à Ping Pang. L’occasion de parler avec elle de ses débuts dans le tennis de table, mais aussi de son diplôme de psychologie, de films, de séries, et de croissants.
Comment as-tu découvert le tennis de table ?
J'ai commencé à l'âge de sept ans. À l’époque, mon père était professeur à Stanford, et nous vivions sur le campus. Près de là où on faisait les lessives, il y avait une table de ping-pong, et je jouais pour m'amuser et tuer le temps. Ensuite, un de mes amis m'a demandé si je voulais rejoindre un club. C'est là que j'ai découvert le vrai tennis de table. J'ai commencé à prendre des cours collectifs, puis particuliers, et je suis tombée amoureuse de ce sport. Je me suis lancé à fond vers l'âge de neuf ans, rêvant de participer un jour aux Jeux olympiques. Ce n'était pas un sport traditionnellement populaire aux États-Unis. La plupart des gens, quand je leur disais que je jouais au tennis de table, me répondaient : "Oh, alors tu peux battre Forrest Gump ?".
Le film fête d’ailleurs ses 30 ans cette année. C’est avant tout à ça que pensaient les Américains quand on leur parlait de ping-pong ?
Disons que les gens situaient un peu ce que c’était, mais sans plus. Ils ne comprenaient pas l’aspect sportif. Par exemple, ils pouvaient me demander sérieusement si jouer me rendait forte au bière-pong. Je ne me souviens d'aucun joueur professionnel aux États-Unis qui aurait gagné sa vie uniquement avec ce sport quand j’ai commencé, et encore moins d’une joueuse. Aujourd'hui, nous avons une ligue professionnelle et des tournois, mais à l’époque, je ne crois pas que c’était possible. J'ai donc abandonné le tennis de table quand je suis entrée à l'université. Je n'ai pas joué professionnellement pendant trois ou quatre ans, puis j'ai réalisé qu'il me manquait quelque chose. Ça nous arrive à tous – on sent vraiment un trou dans son cœur, j’entendais en continu le son de la balle dans ma tête ! Donc après avoir obtenu mon diplôme de psychologie, j'ai décidé de reprendre la compétition, et je suis partie en Allemagne pour jouer en Bundesliga. Je pense que c'est là que ma carrière a vraiment commencé.
Un Grand Smash vient d'être annoncé à Las Vegas. Sens-tu un regain d'intérêt pour ce sport aux États-Unis dont cet évènement serait l’aboutissement ?
Je ne dirais pas que c'est un aboutissement, mais c'est un pas très important vers une plus grande exposition de ce sport. Encore aujourd’hui, beaucoup de gens là-bas ne comprennent pas ce qu'est vraiment le tennis de table. Ils pensent qu'il s'agit plutôt d'un “sport de sous-sol”, où on ne bouge pas vraiment, où on ferme les yeux et on agite les bras. Tous les quatre ans, l'intérêt pour le ping augmente considérablement avec les Jeux olympiques – les gens regardent, ça les intéresse, mais après l’engouement retombe. Je pense donc que l'organisation d'un tournoi comme le Grand Smash est vraiment extraordinaire pour la visibilité du ping aux États-Unis.
Tu as donc mis en pause ta carrière pour tes études de psychologie. Comment ont-elles influencé ta reprise de la compétition ?
Je pense que ça m'a beaucoup aidé. Je m'intéresse beaucoup au comportement humain et aux raisons pour lesquelles nous faisons ce que nous faisons. L'étude de la psychologie m'a aidé à travailler sur moi-même. Je voulais d’ailleurs me spécialiser en psychologie du sport pour combiner mes deux passions, mais malheureusement, Berkeley ne proposait pas ce parcours. Néanmoins, je pense qu'en général, comprendre mes propres motivations et désirs, et les appliquer au tennis de table m'a beaucoup aidé. Ce sport est très mental. Dans les moments cruciaux, tout se joue avec la tête.
Aujourd’hui, comment fais-tu pour trouver un équilibre entre le ping et les autres aspects de ta vie ?
C'est une bonne question. Trouver cet équilibre était difficile quand j'ai commencé à jouer professionnellement. En devenant pro, j'ai perdu une grande partie du plaisir de jouer parce que j'étais obsédée par les résultats, les points et mon classement mondial. J'ai perdu un peu la passion et le "pourquoi" du jeu. Il était important pour moi de prendre du recul et de pouvoir répondre à la question : "Pourquoi suis-je ici ? Pourquoi ai-je commencé à jouer ?" Si vous n'y prenez pas plaisir, quel est l'intérêt ? Il y a toujours des jours difficiles où l'on n'a pas envie de sortir du lit, ou de regarder une raquette ou une balle de ping. Pour moi, il est important de me rappeler les raisons profondes pour lesquelles je fais ça, et d'équilibrer ma vie en dehors du tennis de table au lieu de me concentrer uniquement sur ça et d’en faire une obsession. J'essaie de laisser du temps à ma famille et à mes amis.
As-tu des rituels lorsque tu visites telle ou telle ville pour une compétition ? Y a-t-il des endroits que tu visites, des aliments que tu veux manger ?
Oui, c'est vraiment extraordinaire de voyager pour le ping. La plupart des gens n'en font pas leur métier, alors je me sens très chanceuse de vivre cette expérience. Parfois, j’oublie cette chance en me concentrant uniquement sur la compétition, et puis je prends un peu de recul et je me dis par exemple : "Bon sang, je suis à Paris ! Autant sortir et découvrir la cuisine, la culture et les gens". C'est ce que j'essaie de faire. Je me laisse du temps pour faire des recherches sur ce qui se passe dans la ville. J'essaie toujours de prendre un café ici ou là. J'adore les quartiers comme République et Montmartre. On y trouve des endroits vraiment sympas et créatifs. Je préfère les lieux précis plutôt que les zones touristiques bondées, car je suis rapidement trop stimulée.
Parlons de ton sponsor, Joola. Peux-tu me décrire en quoi consiste votre collaboration ?
Ils m'ont beaucoup aidé dans ma carrière, surtout en ce qui concerne le financement des tournois. Tout devient rapidement très cher, surtout maintenant avec le nombre de tournois WTT. En tant que joueur indépendant, il n'est pas facile d'aller partout. Ils m'aident à financer les tournois, en prenant en charge les billets d’avion, les hôtels, les accréditations. Je travaille également à temps partiel avec eux dans le domaine du marketing, ils sont flexibles et compréhensifs vis-à-vis de mon emploi du temps. Je n'aurais pas pu voyager de la sorte avec une autre entreprise, ça m'a permis de voir le tennis de table sous un angle différent, non seulement en tant que joueuse, mais aussi en tant qu'observatrice de ce sport, qui essaie de comprendre ce que le public souhaite voir.
En dehors de l’univers du ping, as-tu des marques préférées ou des vêtements que tu aimes porter ?
Je n'ai pas vraiment de marques spécifiques à donner, mais j'ai envie d'explorer davantage le monde de la mode, c'est pour cela que venir à Paris est si cool, les Parisiens sont tellement à la mode ! Mais spécifiquement, j'aimerais en savoir plus sur les marques locales et durables plutôt que sur la fast fashion, peut-être par le biais du thrifting (habillement économe, ndlr) ou d'autres méthodes.
Passons au Pang questionnaire. Une musique ou une chanson qui est pang ?
Il faudrait que je vérifie ma liste de lecture Spotify spéciale motivation. Avant, c'était Lose Yourself d'Eminem, un classique pour se motiver avant un match. Aujourd'hui, je préfère des artistes comme Doja Cat, Beyoncé et Megan Thee Stallion, elles sont extrêmement badass !
Un film pang ?
L'un de mes préférés est Le voyage de Chihiro de Hayao Miyazaki. J'ai adoré ce film quand j'étais enfant, il est à la fois effrayant et réconfortant. J'adore aussi les films à suspense comme Get Out de Jordan Peele ou Parasite de Bong Joon-ho. Ils sont tellement bons, avec un symbolisme subtil qui vous donne envie de les revoir dix fois pour remarquer de nouvelles choses. Il y a toujours une nouvelle manière de les voir.
Une série ?
Pour revenir à un classique, Parks and Recreation est l'une de mes séries préférées. C’est une comédie similaire à The Office, avec le même humour grinçant, qui suit la vie du service des parcs d'une petite ville dans un style documentaire. Je l'ai vue peut-être dix fois du début à la fin. Plus récemment, j'ai été obsédé par Severance sur Apple TV, une série de science-fiction qui traite de l'équilibre entre vie professionnelle et vie privée dans un monde ultra capitaliste. Dans cette série, votre Moi professionnel est quelqu’un, et dès que vous quittez le travail, vos souvenirs de la journée s’effacent et vous devenez une tout autre personne. C'est fascinant, tout le monde peut s'y reconnaître, quel que soit son métier.
Un aliment ?
Les croissants ! Je pourrais manger un million de croissants quand je viens ici. Mais honnêtement, mon plat préféré est probablement la cuisine chinoise, comme les boulettes de pâte préparées à la maison par ma mère, il n'y a rien de mieux ! Vous pouvez manger dans un restaurant trois étoiles sur le guide Michelin, il ne battra jamais un plat qui vous rappelle ce que votre mère vous cuisinait quand vous étiez jeune. C'est ma madeleine de Proust. Vraiment pang.
Une boisson ?
Je devrais boire plus d'eau, mais j'adore un bon Moscow mule, c’est un cocktail avec de la vodka et de la bière au gingembre. J'aime aussi les boissons rafraîchissantes classiques ou un bon café. Et le Boba Tea, bien sûr, c'est mon préféré !
Une ville ?
À part Paris, je dirais... Non, Paris. Définitivement.
Un autre sport ?
J'aime le tennis. C'est un sport de raquette, donc je m'y retrouve. Même en tant que pongiste, on peut apprendre beaucoup de choses en regardant les joueurs de tennis. C'est un sport tout aussi personnel et indépendant. J'ai aussi beaucoup aimé regarder le volley-ball aux Jeux olympiques de Paris cette année – devant la tour Eiffel, c'était incroyable !
Un vêtement ?
Un bon sweat à capuche over-size. Absolument parfait quand il fait froid, on se sent dorloté.
Et enfin, une anecdote ?
Je ne sais pas si vous avez vu sur Tik Tok, mais pendant les Jeux olympiques, il y avait un gars qu’on appelait “l’homme aux muffins”. Il était connu pour manger des muffins au chocolat tous les jours dans le village olympique. Ma copine et moi regardions ses Tik Tok, il nous faisait beaucoup rire. Du coup, je me suis procuré un de ces fameux muffins, et nous avons fait une vidéo de dégustation. Ensuite, pendant la nuit de la cérémonie de clôture, nous sommes revenues dans le village et un type m'a tapé sur l'épaule. Il m'a demandé : “hey, tu veux qu’on échange de casquette” ? Je me suis retourné et c'était l'homme aux muffins ! C'était vraiment drôle, on a pris une photo ensemble. Il était super sympa.
Propos recueillis par Jérémie Oro, au club Ping Pang Paris.