Il est devenu l’une des voix les plus célèbres de la couverture médiatique du ping-pong en France. Lemu, streamer et commentateur chez RMC, nous a donné son point de vue sur l’élan nouveau dont bénéficie le ping depuis deux ans, sur les nouveaux canaux pour le suivre, et sur son rapprochement esthétique avec le monde de l’Esport.
Quel est ton parcours dans le ping ? Quel rôle a joué ce sport dans tes vies personnelles et professionnelles ?
C'est un sport qui m'a accompagné très jeune. Quand tu es très petit, tu commences à avoir une raquette dans les mains. C’est un sport assez accessible et c'est ce qui fait son charme. En 6e, j'ai commencé à faire du ping en UNSS, qui est le circuit de sport au collège et au lycée. J'en ai fait de la 6e à la 3e, tout mon cursus au collège, mais je n'ai pas continué au lycée. Je crois que j'ai été contraint d'arrêter parce qu’ils ne proposaient plus l’activité. Donc j'ai un peu perdu de vue le ping pendant quelques années, je suis allé vivre à Los Angeles, puis à Londres, jusqu’à ce que je rentre en France au moment du Covid, et que je commence à streamer sur Twitch. Je faisais du stream react (réaction live à une actualité sur un thème précis, ndlr) et jeux-vidéo, et début 2022 le directeur de la rédaction de RMC Sport est tombé sur ma chaîne. Lui bossait depuis quelque temps sur la création de la chaîne Twitch RMC Sport. Il avait capté le switch qui est en train de se faire en termes de digitalisation des médias, et il m'a proposé de rejoindre le projet en tant que créateur de contenu, avec pour objectif de trouver des sports compatibles avec une diffusion sur la plateforme, et de pérenniser la chaîne en 6 mois. Il fallait en fait prouver qu'on avait notre place.
Le ping s’est donc imposé comme une évidence ou bien tu as d’abord fait autre chose ?
Ça a été 6 mois intenses de stream. On a fait du MMA, du foot, des interviews, du contenu plus journalistique, un peu de tout. L’idée était de devenir une chaîne de diffusion de sport, et non plus seulement de react et d’interview, toujours avec cette envie de casser un peu les codes et de révolutionner le business model du sport, qui est voué selon moi à disparaître, en tout cas tel qu’il est maintenant. Quand j’ai proposé le ping, ça n'a pas forcément été entendu. Je pense que l'image du sport souffrait encore de ses vieux démons d'activité de camping. Et alors, on a eu la chance d'avoir les frères Lebrun qui ont fait de plus en plus parler d'eux. Et forcément, ça a résonné dans la tête de nos supérieurs, et ma demande a été revue positivement.
J’imagine qu’avec ton expérience internationale, tu as apporté une culture globale du stream qu’une chaîne appartenant historiquement au monde de la télé n’avait pas forcément.
C'est quelque chose dont je me suis assuré avant de rejoindre le projet. Ça s'est prouvé plein de fois auparavant, un gros média qui arrive sur une plateforme comme Twitch et qui fait toutes les erreurs possibles et imaginables. Le but, c'était de ne surtout pas faire de la télé sur Twitch. Une fois que j'ai eu l'assurance de ça, je me sentais libre de rejoindre le projet et c'est ce qui s'est passé. On a cassé les codes, on a été assez libres dans notre créativité. Le fait est que, quand on est arrivés, les gens en interne se demandaient : "qui sont ces clowns ?", et je ne leur en veux absolument pas. Je veux dire, tu bosses depuis 30 ans dans les médias traditionnels en tant que journaliste pur et dur, et tu nous vois arriver avec cette culture stream venue d’internet. C’est une réaction normale, et même saine. J'ai énormément de respect pour le métier de journaliste, et c'est peut-être parce que j'ai énormément de respect pour eux que je ne me considère justement pas comme journaliste. Pour en revenir au ping, j'avais flairé le potentiel du sport en lui-même, par sa dynamique, ses règles. C'est très adapté à ce que la nouvelle génération attend d'un sport : le côté à la fois rapide, dynamique et spectaculaire.
Tu dis que tu ne te considères pas comme journaliste.
Non, je suis resté un streamer, créateur de contenu. En fait, je fais du divertissement, et je veux continuer à faire du divertissement. On avait un double défi : prouver aux gens en interne de RMC qu'on avait notre place, et le prouver à la communauté Twitch et streaming en général, qui est très dure avec les grands médias. Sans aller jusqu’à dire qu’on a été les premiers à faire ça, parce que certains ont dû le faire dans d’autres pays, on n’avait pas forcément d'exemples français sur lesquels se baser. On a vraiment avancé à l'aveugle, en testant des choses. Des fois ça marche, des fois ça ne marche pas, mais tu progresses toujours.
Quel est ton point de vue sur cette nouvelle manière d’être un spectateur de sport ? Quelles sont les valeurs que tu souhaites véhiculer, dans ton rapport au tchat notamment ?
Cet esprit de partage de communauté, de réaction en live, c'est quelque chose que tu as nulle part ailleurs. Grégoire Margotton et Bixente Lizarazu, par exemple, pendant qu’ils commentent un match de foot, ils n’ont pas en live ce que pensent les gens de ce qu'ils font ou du match. Ça peut paraître déroutant pour les journalistes classiques, mais moi, c'est sur ça que j'ai axé le début de la diffusion du ping. Tout le monde connaît le foot, tu ne vas pas dire à un tchat : "n’hésitez pas si vous ne connaissez pas les règles du foot !" Ça n'a aucun sens. Alors que pour le ping, il y avait aussi quelque chose à transmettre, une démocratisation à démarrer. C'est sur ça que je me suis beaucoup basé : sur ce côté « on vit ça ensemble ». Moi, c'est vraiment l'aspect communautaire que j’ai développé. Ce qui a marché, je crois, c’est qu’on a créé un truc ultra interactif avec la communauté. On voyait les retours en live des gens, on leur expliquait les règles. On a eu aussi des invités. Ce qui a donné une sacrée dynamique à cette chaîne, et au fur et à mesure des mois, on a réussi à amener des joueurs pros dans le studio.
Et cette création d'un esprit de communauté, elle passe aussi par des gimmicks qui reviennent, des running gags, comme le fameux PPP (point par point). Je ne sais pas si c'est toi qui l'as lancé au début, mais j’imagine que ce genre de repères est hyper important, des choses qui reviennent et qui sont vectrices de communauté.
C’est Laura Pfeiffer qui a créé le PPP, et en effet, c'est ce que moi j’adore en tant que viewer. Tu as l'impression de faire partie de quelque chose, d'une famille ou d'une communauté. Ce sont des private jokes qui sont faciles à capter et qui te permettent aussi de contextualiser un événement. Par exemple, sur Lin Shidong, abrégé en LSD dans le tchat, tu viens sur un stream et ça y est, tu sais qui est Lin Shidong. C'est un des défis qu'on avait : créer et raconter des histoires. C'est ça qui te fait regarder. Alors oui, les frères Lebrun, maintenant on connaît l'histoire, même s’il y a encore des choses à dire, mais c'est à partir de cette histoire qu’on peut en raconter plein d’autres. Il y a tellement de choses qu'on ne connaît pas encore dans le ping, et moi, ce que je veux transmettre, c’est cette idée qu’on vit l'histoire ensemble, et que le tchat participe à son écriture. C'est mon obsession : inclure le tchat à mort, lire un maximum de réactions. Si tu regardes un stream et que le streamer ne lit jamais le tchat, tu ne te sens pas concerné, et tu n’écris plus. Ça fait partie du job de rebondir sur ce que disent les gens et créer des connexions. Je ne veux surtout pas me positionner comme un commentateur classique. Ça peut être déroutant, je ne dis pas que c'est tout le temps parfait, mais le mot d'ordre pour moi, c’est de faire vivre ça comme si je regardais du ping dans mon salon avec des potes, sauf qu’il y a 200 000 potes. Ce qui me fait peur maintenant, c’est que les gens se disent : “bon, maintenant que ça marche, on va le faire sérieusement”, comme si notre approche ne l’était pas. Tu vois l’idée ? Genre, maintenant ça devient sérieux, on laisse faire les pros. Si on est arrivé à ces résultats-là, c'est aussi parce que ce qu'on a fait jusqu'ici a plu. On a brisé un plafond de verre, et il faut profiter de ce « nouveau » sport, qui n’a rien de nouveau en réalité, mais qui est perçu comme tel par beaucoup de gens. Cette dynamique peut imposer de nouveaux codes, et le ping doit croire là-dedans. Je sens que tout l'univers et toute la communauté ping sont en train de se réunir autour de cette nouvelle forme de consommation.
Justement, à ton avis, pourquoi le ping s'y prête aussi bien ? Est-ce par rapport à cette culture un peu nerd ? Les combinaisons de raquettes, les revêtements à stockage d'énergie, etc. Des gens extrêmement soudés entre eux, qui se reconnaissent dès qu'ils commencent à parler de ping. Et puis il y a ce côté très intense du ping, très « court terme », qui permet une participation active du tchat, à la différence d'autres sports qui vont répondre à des modèles plus lents et peut-être moins excitants sur l’instant ?
Plusieurs choses. Comme tu l’as dit, il y a déjà le rythme. En matière d’expérience de spectateur, je ne connais pas de sport qui répond plus aux modes de consommation de la nouvelle génération que le ping. On a besoin que ça aille vite, que notre attention soit stimulée d’une manière à la fois courte et très intense. Toutes les 5 ou 10 minutes, il y a un moment chaud, un moment de pression, un point « d’anthologie » qui va te faire lever de ton siège. Par ailleurs, il y a beaucoup de critiques autour du WTT, mais s’ils ont hyper bien fait une chose, c'est l'aspect visuel. J’en ai parlé avec Johnny, le boss Europe du WTT. Je lui ai dit : “en ce qui nous concerne, sur Twitch, vous avez créé un visuel qui fait qu’en quelques minutes, vous réussissez à accrocher les nouveaux.” Je le vois vraiment comme ça : le visuel du WTT permet au ping de bénéficier de 7-8 minutes pour prouver aux gens qu’il est un sport à suivre. En comparaison, la Pro A, visuellement c’est dur. Ce n’est jamais la même réalisation, ce n’est pas très accrocheur sur le plan visuel, et ça se voit dans les chiffres de suivi. Le WTT convoque les codes esthétiques de l’époque, ce côté science-fiction. Tu as l'impression d'être dans un major de League of Legends. Lors de l'entrée des joueurs, le décompte, cet aspect très sombre avec le contraste du néon ou des couleurs vives, tout ça est calculé pour rappeler les codes de l’Esport. Et dans le jeu, on retrouve ces timings ultra serrés, l’importance du poignet et du temps de réaction. Le temps de réaction de Félix Lebrun, c'est celui d’un joueur pro de Counter Strike, et inversement ! Dans la dynamique, un match de ping n’est pas si différent d’une game sur League of Legends, par exemple. Ça dure une petite demi-heure en moyenne, il y a cinq ou six moments de haute tension, et puis c’est fini. À côté, le tennis paraît très long.
Pour rebondir sur ce que tu disais sur la Pro A, il faut quand même souligner que ce n’est pas le même budget, les matchs se jouent dans des salles classiques qui n’ont pas investi dans des installations visuelles comme l’a fait le WTT.
Bien sûr, mais il faut que tout le monde s'y mette, il faut que les clubs et la fédération investissent, même dans quelque chose de moins sophistiqué. Il faudrait que visuellement, on puisse se dire au premier coup d’œil : “OK, c’est la Pro A”. Le WTT n’est pas parfait, bien sûr, il y a plein de choses à améliorer, notamment sur les conditions de travail des joueurs. C'est un autre sujet important, mais sur ça, ils ont été hyper forts.
Ce que tu dis sur le besoin de vitesse et d’immédiateté de notre génération est intéressant. On a l’impression que le ping, dans sa nature même, se prête à ça.
Oui, et pour compléter, sur ce côté nerd dont tu parlais, il y a cette idée que le ping est d’une technicité extraordinaire. Moi qui suis un grand fan de Rocket League par exemple, qui est un jeu ultra technique, je retrouve des deux côtés l’importance capitale du try-hard, pour reprendre les termes de toute une communauté. Pour maîtriser un aspect du ping, tu es obligé d'y aller à fond, de t’engouffrer dans un tunnel de répétitions. Et au-delà de Twitch et de sa communauté historiquement liée aux jeux vidéo, je crois que c'est juste la nouvelle génération dans son ensemble qui peut être sensible à ça. Après, même si on est à la base une chaîne Twitch, on permet aux gens de regarder sur YouTube parce qu’on sait qu’il y a encore une audience qui ne maîtrise pas cette nouvelle plateforme. On sait très bien que le Chromecast sur la télé, ou simplement le partage d’écran depuis YouTube, est beaucoup plus simple. Et il faut que ça reste gratuit. Sur ça aussi, on a été rassurés en interne par RMC.
Comment vois-tu 2025 ? Quels sont tes futurs projets professionnels et personnels autour du ping ?
Il ne faut pas qu’on se repose sur nos lauriers. Il faut constamment continuer à évoluer et à proposer des choses nouvelles. Ce que j'aimerais, en addition à ce qu'on a fait en 2024, c’est proposer du contenu pro en dehors des tournois. Donc, peut-être le lancement d'une émission hebdomadaire sur le ping, proposer aussi des analyses entre chaque set ou après un match, avoir deux ou trois invités autour d'un canapé pour un débrief du match. Un peu comme ils font sur le Canal Champions Club, où ils se retrouvent à la mi-temps et discutent de ce qu’ils viennent de voir. Et enfin, j’aimerais faire plus de contenu YouTube de mon côté, où on me verrait faire des exercices simples avec des pros ou des semi-pros. Vu que je n’ai pas du tout un gros niveau, peut-être que pas mal de gens se sentiraient concernés !
Propos recueillis par Jérémie Oro, au club Ping Pang Paris.