Image : ITTF
Fin novembre dernier, la Suède a accueilli la même semaine les Overwatch Champions Series, les championnats du monde jeunes de tennis de table, et les finales mondiales de ping Esport, qui se joue en réalité virtuelle. Un hasard de calendrier sous forme d’état des lieux, qui nous permet de faire le point sur deux disciplines qui se sont grandement rapprochées ces dernières années.
À première vue, le lien n’est pas évident. Mais depuis 2020 et l’apparition du WTT, dont l’esthétique générale est aujourd’hui identifiable au premier coup d’œil, le circuit mondial de ping possède une identité nouvelle, fondée sur des motifs audiovisuels très actuels, voire avant-gardistes, que l’on retrouvait jusqu’ici surtout dans un tout autre univers : le jeu vidéo. Le hasard de calendrier susmentionné ne fut qu’une occasion de nous en rappeler, et ce, quel que soit notre avis sur la question. C’est un choix du WTT. Un choix intéressant quoique opportuniste, fait sans doute sur la base de trois constats : 1/ l'essor vertigineux de l’Esport en Asie, 2/ un besoin supposément vital de réactualiser l’esthétique du ping, et 3/ une certaine proximité entre les deux disciplines. L’histoire lui donnera ou ne lui donnera pas raison.
Essayons malgré tout de comprendre ce rapprochement. À quoi pense-t-on, aujourd’hui, quand on “pense ping” ? On pense technique, vitesse, précision, intensité, réflex. On pense explosivité, on pense condition physique, acuité visuelle, finesse de la main, élasticité du poignet. On pense innombrables possibilités de raquettes, de combinaisons entre des dizaines de revêtements et bois proposés par des dizaines de marques. On pense forums nerds pour tester tout ça, partager ses impressions, faire des comparatifs. On pense aussi matchs de 20-30 minutes, avec des moments d’action nombreux, courts et galvanisants. On pense difficulté mentale, on pense pétages de câble.
Et côté Esport, à quoi pense-t-on ? Eh bien à quelques détails près, à la même chose. Chacun des aspects du ping a son égal Esportif plus ou moins évident, si bien que les deux mondes entretiennent des rapports assez similaires avec leur fan base. Ainsi, à défaut de la valider, on peut comprendre la démarche du WTT sur le plan visuel. On a en tête les Champions, Finals ou Smash, et leurs salles, scènes, tables et sols aux tons sombres, entourés de néons aux couleurs vives. Des écrans partout : sur la scène pour l’entrée des joueurs et joueuses (qui se fait sur fond de musique électronique à tendance dubstep pas très loin de BO comme celle de Cyberpunk 2077), mais aussi aux quatre coins de la salle, autour et au zénith des aires de jeu, sur les tables d’arbitrage. Et pour suivre les tournois, du moins en France, ça se passe en Live sur Twitch et YouTube, avec leur culture du pseudo, du tchat, et de l’expérience collective.
Dans l’interview qu’il nous a accordé fin novembre, Lemu de RMC Sport, ancien streamer jeu-vidéo aujourd’hui commentateur de ping, a très bien explicité cet état de fait : “En matière d’expérience de spectateur, je ne connais pas de sport qui répond plus aux mode de consommation de la nouvelle génération que le ping. On a besoin que ça aille vite, que notre attention soit stimulée d’une manière à la fois courte et très intense. […] Un match de ping n’est pas si différent d’une game sur League of Legends par exemple : ça dure une petite demi-heure en moyenne, il y a cinq ou six moments de haute tension, et puis c’est fini. À côté, le tennis paraît très long.”
Il y a par ailleurs, dans la culture même du ping, des ponts à créer avec l’Esport. L’importance qu’a eue l’Asie dans le développement économique récent des deux disciplines notamment, du fait que leurs meilleurs pratiquants contemporains viennent de ce continent. Esthétiquement, il y aurait quelque chose à dire de l’iconographie futuriste choisie par Stiga en 2021 pour nous vendre à toutes et tous son bois Cybershape, dont le nom irait très bien à un clavier mécanique nouvelle génération. Par ailleurs, n’y a-t-il pas quelques similitudes entre la colle rapide, interdite en compétition, et les cheat codes dans le jeu vidéo ? Entre l’épaisseur que vous choisissez pour votre revêtement, et la sensibilité de votre souris ? Entre celui qui spam des emotes et celui qui joue anti-top en revers ? Nous pourrions aussi parler du partenariat entre la FFTT et la Paris Games Week 2024, décors étrange pour ces Cornilleau 850 ; et de l’existence, évidemment, d’un circuit mondial de ping en réalité virtuelle.
Le ping et l’Esport ont désormais beaucoup en commun. Les deux mondes semblent se répondre, même si l’un a quelque peu vampirisé l’autre, et ce, sans que cela soit vraiment réciproque. Mais l’aspect le plus important qui les rapproche – et par lequel nous aurions sans doute dû commencer – concerne cette dynamique de légitimation nouvelle en Occident. Longtemps considéré comme une simple activité par les non-initiés européens et américains (alors qu’il est un sport national en Chine, et extrêmement important au Japon ou en Corée), le ping est un des sports du moment, diffusé, partagé et commenté sur les canaux les plus contemporains qui soient. Tout comme le jeu vidéo, encore une fois.